Joël LACOTTE                                                                                 Année 1995-1996

 

 

MAITRISE DE PSYCHOLOGIE

Clinique et Pathologie

U.F.R  des Sciences de la vie

UNIVERSITE DE CAEN

 

 

 

 

 

 

 

Depuis plus d'une décennie un certain nombre d'auteurs ont exhumé la théorie de la séduction que Freud avait officiellement abandonnée depuis 1897. L'étude exégétique de la littérature freudienne nous permet-elle de comprendre les raisons qui ont motivé la mise à l'écart de ce qui dans un premier temps lui apparaissait comme une donnée clinique  ? Est-ce, comme le prétend Masson, par peur de l'isolement, de la perte de  considération de ses pairs ?   Peur de l'anathème pour avoir osé révéler un tabou ? Est-ce pour conserver intacte l'apparente dignité de l'être-humain, faisant oeuvre d'humaniste ?  Certains voient dans cet abandon un avancement capital et obligé pour l'élaboration d'une métapsychologie : le fantasme  se substitue à  la séduction paternelle , le réel  s'éclipserait pour faire place au théâtre  oedipien . Scènes fantasmatiques ou événementielles, que s'y joue-t-il ? Quels sont les acteurs ? Qui sont les protagonistes ? Evoluent-ils toujours dans des dimensions parallèles ou sont-ils amenés à se (re)-présenter dans un même lieu ? En quoi et comment le signalement d'un inceste conduira le psychologue ou le psychanalyste, les travailleurs  sociaux et les juristes  à privilégier tels scénari plutôt que tels autres  ? Les premiers seraient les  "spectateurs" de la réalité interne,  et les autres  joueraient sur la scène externe. Mais avant de répondre à ces questions,  il nous a fallu d'abord examiner ce que Freud écrit à propos du  traumatisme biphasique   de  la séduction avec la notion  de "l'après-coup".  Et comme il  existe des conditions contextuelles qui favorisent le passage à l'acte incestueux,  Françoise Brette suggère qu'il y a peut-être  des interactions précoces déficitaires, qui  induiraient des comportements sexuels précoces chez l'enfant qui favoriseraient les conduites perverses chez l'adulte.  L'auteur parle d'"avant-coup" traumatique.

 

 

 

Mots clés : Abandon de la séduction, affabulation,  Fliess, Emma, "Naissance de la psychanalyse",  sexualité de l'enfant,  fantasmes, fantasme originaire, refoulement primaire,  hystérie, Oedipe, interdit de l'inceste, expertise médico-légale, Tardieu, Brouardel, dysfonctionnement familiale, "Confusion des langues"  traumatisme, "après-coup", relations précoces déficitaires,  "avant-coup", signalement, thérapie, analyse, transfert et contre-transfert, réalité factuelle, investigation de l'homme de loi

 

 

Auteurs clés : Freud,  Masson, Tardieu, Ferenczi,  Laplanche et Pontalis, Brette, Nasio, Simon,...

 

 

 

                                                                                                              Chargé de Mémoire : Mr SKAZA

 

 

 

 

Introduction

 

1° Théorie de la séduction

       1.1 Tardieu, Brouardel, Fournier: médecins légistes...................................... p    6         1.2  "J'ai renoncé à ma Neurotica............................................................................................................... p   10

       1.3  La séduction et ses rejets........................................................................... p   16

       1.4  "Les trois essais..."

              1.4.1 Le complexe d'Oedipe et l'interdit de l'inceste................................ p   19

              1.4.2 Le complexe de la perte d'Objet d'amour........................................ p   20

              1.4.3 La Faute du père................................................................................ p   22 

 

2°  Le traumatisme

       2.1 Ferenczi

              2.1.1.  "La confusion des langues"............................................................. p   27

              2.1.2.   Le traumatisme entre Freud et Ferenczi....................................... p   28

       2.2 L'étiologie de l'Hystérie"............................................................................... p   33

       2.3 L'après-coup : 2 temps traumatiques......................................................... p   35

       2.4 L'avant-coup

              2.4.1. Traumatisme de la relation primaire............................................... p   38                     2.4.2. Interactions précoces déficitaires............................................................................. p   39  

       2.5 L'inceste : Dysfonctionnement familiale

              2.5.1 le père.................................................................................................. p   44  

              2.5.2 la mère................................................................................................. p   45 

 

3° Le fantasme

       3.1 La séduction : fantasme traumatique.......................................................... p   48

       3.2 L'origine du fantasme et fantasmes des origines..................................... p   50   

       3.3 Désir traumatique de l'hystérie.................................................................... p   54                                                                                                                                 

       3.4 Nécessité du refoulement originaire........................................................... p   57

 

4° Thérapie et dévoilement

       4.1 Freud et les faux souvenirs d'abus.............................................................. p   59

       4.2 L'inceste et les analystes............................................................................. p   62

       4.3 Tranfert et contre-transfert............................................................................ p   64

       4.4 Le juge, le psychologue et l'expertise......................................................... p   68

       4.5 Vignette clinique............................................................................................ p   71

 

Conclusion................................................................................................................ p  74

 

Bibliographie............................................................................................................ p  78

 

 

 

 

 

            L'inceste : il y a des mots comme celui-ci qui nous projettent dans une réalité abrupte, insaisissable. De tels vocables  ne servent plus de médiateur et nous plongent tour à tour, indifféremment dans l'hébétude, l'incompréhension, l'interrogation, l'invraisemblance, la colère, le mutisme. L'ébauche d'une représentation provoque le dégoût, l'écoeurement, la nausée, le vertige. Les anonymes attroupés sur le parvis des Palais de Justice, regardant les journaux peuvent expulser cette folle violence publique, assouvir leurs pulsions agressives. Les travailleurs sociaux, les soignants, les thérapeutes et les législateurs sont confrontés à une sorte d'inertie , d'inhibition intellectuelle et/ou morale pour affronter les agissements de tels pères et le désarroi de leurs victimes. Faire preuve de compassion, trouver les mots de réconfort ne peuvent pas cautériser de telles blessures.

 

             Mais que pouvons-nous faire ? Devons-nous nous déclarer vaincus ?  N'y-a-t'il rien d'autre à faire que de pleurer sur le sort des victimes,  de hurler sa haine pour le bourreau - celui-là même que les sciences humaines, le discours médico-légal nomment "incestuel". Est-ce une nouvelle espèce de pervers sexuels que le "scientia sexualis " a inscrits dans son herbier. "Les sociétés occidentales ont commencé à tenir le registre indéfini de leurs plaisirs. Elles en ont établi l'herbier, instauré la classification. Elles ont décrit les déficiences quotidiennes comme les bizarreries ou les exaspérations" (FOUCAULT,  1976, p85).

 

            Notre propos n'est pas de faire ici la critique des récentes techniques et nouveaux corpus théoriques, des psychothérapies qui prennent en charge les uns et/ou les autres, les victimes et/ou les agresseurs, les séduits et/ou les séducteurs, les abusés et/ou les abuseurs, les incestués et/ou les incestuels, ni de faire oeuvre de philologue et d'historien pour mieux cerner les changements de mentalité du médico-légal concernant ses diverses interventions dans des situations d'inceste.  Notre travail sera d'abord centré sur les diverses remises en question d'un des moments princeps du freudisme : le renoncement historique, en septembre 1897 de la Neurotica ou théorie de la séduction et la subséquente découverte du complexe d'Oedipe au regard des abus sexuels et plus précisément des relations incestueuses. Notre objectif pourrait être de souligner avec Ferenzci que l'inceste est la réponse d'un désir passionnel, sensuel, d'adulte à une demande de tendresse de la part d'enfant, mais aussi que cette  "confusion des langues" concerne également la manière dont les professionnels appréhendent et rendent compte des désirs des deux protagonistes.

            Dans les années 50 et 60 les professions médicales prennent conscience de l'existence  et de l'importance de l'inceste. Quelques articles traitant de cas apparaissent çà et là dans la littérature psychanalytique. Robert Fliess écrit trois volumes (1956, 1961, 1973) sur la technique pour traiter les patients physiquement et sexuellement abusés par leurs parents. Greenacre s'intéresse aux traumatismes préoedipiens  et plus particulièrement aux perversions sexuelles. Elle s'étonne du manque de considération des psychanalystes en ce qui concerne la réalité de l'inceste. Elle s'en plaint. "Les résistances  que suscitent mes recherches m'étonnent, particulièrement quand mes collègues perçoivent mon travail comme un essai à  minimiser l'importance du complexe d'Oedipe." (Greenacre, 1971).

 

             Ces auteurs ne peuvent accepter la facilité avec laquelle les analystes et autres psychothérapeutes esquivent le problème. Freud n'avait-il pas décrit le tabou de l'inceste comme "une des plus puissantes prohibitions de l'espèce humaine." Certains anthropologues et sociologues rapportaient que les cas d'inceste étaient très rares dans les populations étudiées. Ceci conduira à un biais considérable : la psychanalyse s'intéressera davantage à l'aspect prohibitif de l'inceste qu'à l'inceste lui-même.

 

             Le pouvoir social et politique en dehors du champs psychanalytique a joué un rôle clé dans la prise de conscience de la profession. Les mouvements féministes, les détracteurs de la psychanalyse dans les années 60 et 70, le livre explosif,  moins en Europe qu'aux Etats-Unis, de Masson (Masson, J.M.1984) ont contribué directement ou indirectement à faire que les professionnels portent davantage leur attention à ces problèmes alors que les législateurs, les professions sociales, d'hygiène mentale, les sexologues et les sociologues pendant des décennies ont minimisé ou ignoré la réalité de l'inceste.

 

             La mise à jour depuis les années 80 du nombre considérable des violences sexuelles perpétrées sur de jeunes enfants, de l'étendue des cas d'incestes authentifiés et laissant impuissants la plupart des travailleurs sociaux,  ont conduit certains auteurs comme Alice Miller (Miller, 1991) dans "l'enfant sous terreur" et  Masson en 1984 dans "Le rêve escamoté",  ouvrage très controversé, à reconsidérer, nuancer la "théorie des pulsions" comme la seule explication  valable de l'étiopathogenèse des névroses, laquelle masque le traumatisme narcissique de  l'éducation, en déculpabilisant les parents, en se faisant leur complice". (Miller, 1991)

 

 

 

 

            Le second axe de notre travail s'intéressera à la confusion entre le monde interne, le langage de la réalité fantasmatique et le monde externe, le langage des faits,  la réalité événementielle,  historique, et médico-légale  de l'inceste.  L'inceste est caractérisé par la multiplicité, la répétition des  scènes traumatiques due à la proximité des protagonistes. Dans une étude publiée aux Etats-Unis (Putnam F.W,  1993, p.85) sur les cas perpétrés sur des fillettes âgées de 7-8 ans, la fréquence moyenne des abus est de une fois toutes les trois semaines ; elles subissent 35 épisodes d'abus sexuel pendant la période où elles sont à la merci des pères.

 

            Cependant Ces informations chiffrées peuvent nous surprendre par leur caractère abrupt, peu nuancé, plaqué. Pouvons nous nous contenter des données statistiques qui seules authentifieraient la "réalité factuelle" des abus sexuels sur mineurs ? L'intérêt que nous avons pour les chiffres serait-il plus important que celui que nous pourrions porter aux différents aménagements psychiques que de telles expériences stigmatisent ? Que pouvons nous dire sur ce traumatisme, de cette confusion des genres à la défaveur de l'enfant ?

 

            C'est avec le souhait d'être mieux à même de comprendre l'agencement des différentes interactions entre  réalité(s) psychique(s)  et  réalité(s) factuelle(s)  au regard de l'ontogenèse et de l'évolution de la recherche que nous proposons cette troisième partie.  Dans la réalité judirico-clinique chacun est amené selon sa mission, son profil de poste à appréhender cette réalité interne et/ou externe. C'est, tour à tour sur le regard de l'homme de loi, de l'expert et du psychologue clinicien que nous nous pencherons dans cette quatrième et dernière partie.

 

            En rigueur de terme l'inceste n'implique pas forcément qu'il y ait un bourreau et une victime. Nous avons présenté l'inceste comme une séduction forcée des parents sur leur enfant. C'est pourquoi il serait plus judicieux de parler de viol incestueux. En premier lieu on peut noter que la proximité "corporelle" entre le père ou la mère et l'enfant  favorise les attouchements, et que les liens du sang sont, dans ce cas, accidentels au sens étymologique.  L'enfant est un "objet sexuel" qui va permettre à l'adulte d'assouvir ses pulsions.  Il ne recontrera pas la peur, les difficultés et la frustration  que lui procure une sexualité avec des partenaires matures. La vie sexuelle du couple est insatisfaisante, mais le père ne cherche pas de "dérivatifs" à l'extérieur. La famille incesteuse vit le plus souvent repliée sur elle. En prenant  comme victime sa  progéniture les risques de signalement pour attentats à la pudeur,  pour attouchements, voire pour viol se réduisent considérablement. L'inceste, dans le cas de violences sexuelles sur des enfants est un viol caractérisé sur mineur. L'article du code pénal ne fait pas de distinction entre l'abus sexuel sur mineur de nature pédophile et l'inceste. "Inceste" sera synonyme dans notre  étude de violences  sexuelles,  de viol incestueux, toutes situations équivoques, suscitées par l'adultes que l'enfant n'aura pas voulu en toute connaissance de causes.

 

            C'est pourquoi nous ferons nôtre la conception de l'inceste de Claude Barrois : "Toute conduite sexuelle entre adulte et enfant, entre personnes présentant un écart de génération, peut être qualifiée d'incestueuse. Il suffit que l'agresseur soit plus âgé pour être considéré comme un substitut ou un analogon du père". (Barrois, 1995, p.15) Nous considérons comme incestueuse toute relation à caractère sexuel entre un enfant et un adulte ayant un rôle parental à son égard. C'est-à-dire qu'en dehors des liens du sang, les relations sexuelles entre un enfant et un beau-père, une belle-mère ou des substituts parentaux stables seront incluses dans notre propos. Les actes incesteux concernent toutes les formes de relations sexuelles, hétérosexuelles ou homosexuelles, non seulement lorsqu'il y a accouplement, mais aussi en cas de contact oro-génital, anal, de masturbation, et de certaines conduites parentales impliquant une proximité corporelle excessive où l'exhibitionnisme et le voyeurisme sont imposés à l'enfant.

 

 

 

 

 

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