Université de Nancy II
Faculté de Lettres et Sciences
humaines
Département de Psychologie
Sexualité, prises de risque,
vulnérabilité, sida
Vécu et représentations des
adolescents et jeunes adultes habitant le quartier du « Haut du
Lièvre » à Nancy
Mémoire de D.E.S.S. de Psychologie des Actions Interculturelles
Sous la direction d’Isabelle Pellé
Présenté par E. GABORAUD
Année 2001-2002
I.1.
Les variables « nationalité » et « origine »
I.4.
Inscription de l’enquête qui va suivre dans ce contexte
II.
Les influences supposées sur les pratiques et le discours concernant la
sexualité
II.2.
Le cas particulier des jeunes d’origine maghrébine
III.
Problématique, variables et hypothèses.
I. La sexualité comme objet d’étude
I.1.
Des enjeux de la sexualité dans une société
I.2.
Décrire et comprendre la sexualité pour mieux faire passer les messages de
prévention
II. Quelle méthode pour quels
résultats ?
II.1.La
construction de l’outil
II.2.
Le traitement des données
Sexe
des personnes interrogées
I.1.A
quoi sert la contraception ?
I.2.
A qui demander un moyen de contraception ?
I.3.
Qu’est ce qui est le plus grave ?.
I.4.
Que penses-tu lorsqu’on te dis : « il faut se protéger du
sida » ?
II.
Présentation des résultats « questions ouvertes »
II.1.
1e thème : parler de sexualité
II.2.
2e thème : les rapports sexuels
II.3.
3e thème : la perception du sexe opposé
D.
Synthèse, Discussion, Conclusion…
Annexe
1 : les « mondes de la vie »
Annexe
2 : consignes et questionnaire
Malgré
les constats existant depuis le milieu des années 90 tendant à démontrer la
situation préoccupante des personnes d’origine étrangère face au VIH, peu d’initiatives officielles en matière de
prévention ciblée en direction des personnes issues de l’immigration ont été
prises dans un premier temps, le contexte social et politique étant jugé défavorable,
et par peur de stigmatiser ou de renforcer la discrimination. Le souci était
plutôt de mener une politique « égalitaire » refusant de prendre en
compte les particularités culturelles et sociales de ce public. Dans un second
temps, emboîtant le pas des multiples initiatives associatives locales qui ont
vu la naissance de programmes d’actions spécifiquement tournées vers les
communautés d’origine étrangère, a été définie une politique nationale de santé
en direction de ce public en 1998-1999 (création de supports d’information en
langues étrangères, partenariats avec les radios communautaires…).
C’est dans ce cadre que va s’inscrire ce travail. Etant moi-même volontaire à l’association AIDES 54, et m’intéressant depuis quelque temps déjà aux activités du groupe « migrants », chargé des actions auprès des communautés issues de l’immigration ( et par extension, de tous les habitants des quartiers « populaires », leur milieu de vie), je n’y avais néanmoins jamais participé. Cette recherche fut l’occasion de le faire. Elle m’a permis d’une part de découvrir les relations de partenariat avec les associations « communautaires », et d’autre part de me familiariser avec un travail « de rue » que j’effectuais jusqu’ici dans un contexte différent. L’étude menée au sein d’AIDES 54 est une recherche-action dont le but est d’améliorer la connaissance des représentations et pratiques des jeunes de ce quartier de Nancy, ceci pour adapter le message de prévention des M.S.T. et sida/hépatites sur ce terrain. Le principe est : mieux connaître pour mieux informer.
Je
présenterai en guise de préambule les évolutions de la politique de prévention
du VIH auprès des populations issues de l’immigration. Puis je me propose de me
concentrer sur ce qui participe à la construction identitaire des migrants maghrébins[1].
Ceci me conduira à poser ma problématique, et à proposer de succinctes
hypothèses sur les facteurs qui pourraient jouer sur la perception de la
sexualité et des pratiques sexuelles des jeunes. J’aborderai ensuite la méthode
de construction de l’outil de recueil de données, puis présenterai les
résultats obtenus avant de les discuter.
Sexualité,
prises de risque, vulnérabilité, sida
Vécu
et représentations des adolescents et jeunes adultes habitant le quartier du
« Haut du Lièvre » à Nancy
Résumé
Le
constat de la situation préoccupante des migrants et de leurs descendants face
à la contamination VIH a mené à la fin des années 90 à la mise en place de
politiques de prévention
ciblées vers ces populations, principalement à l’initiative du milieu
associatif. Il est donc nécessaire d’étudier localement les connaissances et
pratiques des habitants des quartiers « populaires » de manière à
pouvoir adapter le travail de terrain. Il ressort de cette étude réalisée dans
un quartier de la périphérie de Nancy, que, si les connaissances des jeunes sur
les modes de transmission du sida et la contraception sont correctes, les
prises de risques sont fréquentes. Ceci est dû en partie à la structuration des
groupes de garçons pour qui la défense d’une image de virilité aux yeux des
pairs passe souvent par des attitudes de mépris et de violence potentielle
envers la partenaire, et par la non
utilisation systématique du préservatif. Les actions de prévention des risques
sexuels dans le futur devront donc tenter de déconstruire l’
« androcentrisme » existant,
et s’axer sur un travail de lutte contre les violences sexuelles.
Mots clés
VIH, communautaire, groupe des pairs, sexualité,
sentiments, honneur, envie, identitaire, genres, prévention.
Migrants et VIH
Vers
le milieu des années 90, la généralisation de la mise à disposition de
nouvelles thérapies plus efficaces contre le VIH a accentué le clivage entre
les personnes ayant accès à l’information et donc à la prise en charge
médicale, et les autres plus défavorisées et éloignées de la prévention. Ce
contexte a davantage
révélé la situation particulièrement préoccupante de personnes d’origine étrangère de
plus en plus nombreuses dans la file active des services spécialisés VIH.
Face
à cette situation et dans un premier temps, peu d’initiatives officielles en
matière de prévention ciblée en direction des personnes issues de l’immigration
ont été prises, dans un contexte social et politique défavorable, de peur de
stigmatiser, de renforcer la discrimination, et dans un souci de mener une
politique « égalitaire » refusant de prendre en compte les particularités
culturelles et sociales de ce public.
Dans
un second temps, emboîtant le pas des multiples initiatives associatives
locales qui ont vu la naissance de programmes d’actions tournées vers les
communautés d’origine étrangère, a été définie une politique nationale de santé
en direction de ce public en 1998-1999 (création de supports d’information en
langues étrangères, partenariats avec les radios communautaires…).
A
Nancy, c’est dès 1998/1999, partant du constat que les personnes issues de
l’immigration étaient parmi les plus éloignées de l’information et les plus
vulnérables face au VIH/Sida, que l’association AIDES initie un programme de
prévention spécifique en direction de ces populations.
L’une
des stratégies choisie fut de toucher différentes communautés issues de
l’immigration au sein de leur milieu de vie, les quartiers dits
« populaires » (une terminologie qu’on préfèrera à celle de
« banlieues » ou « cités »), et au-delà, l’ensemble des
habitants de toutes origines.
L’étude
que j’ai menée au sein d’AIDES
54 (peut -être faut-il préciser en note ?)
est une recherche-action dont le but est d’améliorer la connaissance des
représentations et pratiques des jeunes d’un quartier « populaire »
de Nancy, ceci pour adapter le message de prévention des M.S.T. et
sida/hépatites sur ce terrain. Le principe est : mieux connaître pour
mieux informer. Cette étude s’inscrit donc dans une démarche de santé
communautaire dont l’objectif final est la participation active et responsable
des habitants dans la prise en charge de leur propre santé. Cette approche est
habituelle à AIDES puisque dès sa création AIDES s’est positionné dans une
démarche communautaire, ce sont en effet les personnes concernées directement
par la maladie (homosexuels, consommateurs de drogues, femmes) qui ont
construit des programmes de prévention et de soutien qui leur convenaient. Avec
les personnes d’origine
étrangère, la démarche a été légèrement différente car les volontaires
maghrébins ou subsahariens, craignant le rejet de la communauté d’origine dans
laquelle ils se reconnaissaient n’ont pas désiré intervenir… L’association
s’est plutôt retrouvée en position de catalyseur favorisant la dynamique intra
communautaire en nouant des partenariats avec des associations communautaires (de
quartier, ethnique…) reconnues pour leur légitimité auprès des populations.
C’est précisément ce qui s’est passé pour le Haut du Lièvre.
La
population du quartier est d’origines diverses, mais la majorité des jeunes
avec qui nous travaillons est d’origine maghrébine. Mon étude a consisté plus
particulièrement à apporter des réponses à une question : Quelles sont les
connaissances, représentations et pratiques de la sexualité des jeunes de 16 à
22 ans dans le quartier, et sont-elles rattachées à certains groupes
d’individus en particulier ? On peut faire l’hypothèse que plusieurs
facteurs ont une influence sur les représentations et pratiques sexuelles. J’en
ai retenu 4 principaux :
·
le sexe ;
·
l’âge ;
·
l’origine des parents
(c’est-à-dire leur pays d’origine) ;
·
la revendication
« identitaire », s’exprimant au travers de l’appartenance affirmée à
une religion et/ou une culture.
Les
dix huit personnes interrogées entre mars et mai 2002 constituant le panel de
l’étude ont suivi une scolarité « classique » et sont issues de
milieux sociaux comparables. On leur demande leur âge, leur sexe, l’origine de
leur parents, leur propre nationalité, et deux échelles évaluent le degré de
revendication identitaires.
La
méthode de recueil de données consiste en un questionnaire en deux
parties :
·
une partie de
questions fermées concernant le VIH et la contraception, permettant d’évaluer
le degré d’information des jeunes à propos des M.S.T. et
de la contraception ;
·
une partie de
questions ouvertes portant sur trois thèmes : parler d’amour et de
sexualité, la pratique et ce qu’on en pense, la perception du sexe opposé.
Pourquoi des questions ouvertes avec réponses écrites ? Accéder aux
représentations et expériences individuelles ne peut se faire que par une
méthode proche de l’entretien. Mais ceci implique des biais inévitables : il
est difficile de parler de sexualité avec les filles se retranchant souvent
derrière l’argument de la virginité, et garçons, avec qui le débat est
facilement occulté par une attitude de fanfaronnade dès qu’il s’agit de sexe.
La méthode d’entretien en face à face m’a donc paru à la
fois inadaptée et trop intrusive. J’ai alors pensé que, tous ces jeunes
possédant un niveau scolaire suffisant, il pouvait être intéressant de leur
demander de donner les réponses par écrit à des questions posées sous forme
d’entretien semi-directif. Ainsi, les biais et la gène
occasionnée par les sujets abordés serait fortement diminuée, du fait
aussi de l’anonymat des réponses. Ce que m’a confirmé l’expérience.
Les
questions sont donc lues ensemble comme un guide d’entretien individuel, les
réponses se font anonymement par écrit, le questionnaire est ensuite glissé
dans une urne. Et au vu des résultats, il s’avère que cette méthode mixte
questionnaire-entretien s’est montrée fructueuse, puisque les réponses données
sont allées assez loin, et ont parfois dépassé mes espérances. Je préciserai
que de plus, l’échantillon correspond d’assez près à la population que nous avons l’habitude de côtoyer
durant les préventions sur le quartier, tant en ce qui concerne les âges que de l’origine des parents[1].
Le
traitement des questions fermées n’étant que du dénombrement, il restait à trouver une
méthode que la seule personne qui détient le sens d’une expérience est celle
qui la vit. Le but de l’analyse des questions ouvertes est alors d’émettre des
hypothèses sur la manière dont la personne qui a répondu en est arrivé à construire ce qu’elle a écrit. On doit alors de se servir de ce qui est
écrit pour remonter à la construction du sens. Il faut pour ceci ordonner le
texte de manière à le lire en prenant de la distance. On peut aboutir ainsi
pour chaque individu à la reconstitution de ce que Roger Sagès[2]
appelle le « monde de la vie » de chacun. J’ai pu comparer ces
« mondes de la vie » reconstitués, et voir ainsi si des conceptions,
expériences, craintes ou représentations se rejoignaient, et si les groupes
ainsi formés correspondaient à des groupes : genres, origine des parents, âge ou identitarité[3].
Connaissances sur le VIH et la contraception
Le bilan des réponses
aux questions de connaissances me semble positif à plusieurs égards :
·
les connaissances sur
la contraception sont assez bonnes dans l’ensemble;
·
le dépistage et les
lieux où on l’opère sont maîtrisés ;
·
le danger que représentent
sida et M.S.T semble être perçu ;
·
les moyens et
attitudes de protection sont connus.
Le
travail conjoint de l’association AIDES et des personnes relais (ainsi que
peut-être les connaissances acquises dans le milieu scolaire) aurait donc porté leurs fruits, ce
qui est assez encourageant en soi. Mais si les connaissances théoriques sont
assez bien comprises, qu’en est-il de l’application pratique ?
Sexualité, tabous, et
appartenance groupale
Le
fait de vouloir parler de sexualité implique au moins deux questions :
avec qui en parler ? et sur quel mode ? Pour
répondre à ces deux questions, je me fonderai à la fois sur les écrits
recueillis, et sur quelques discussions « informelles » que j’ai pu
avoir dans le quartier, en individuel ou en groupe. La majorité des personnes
interrogées disent ne pouvoir parler d’amour et de sexualité qu’avec leur
groupe d’ami(e)s. Le groupe, et l’appartenance à
celui-ci, semble tenir une grande place, en
particulier pour les garçons. Pour
eux, le sentiment de proximité qu’ils ressentent envers leurs pairs permet
d’aborder ce type de sujet. Proximité d’âge et de pratiques (du moins dans
leurs représentations), qui facilite la confiance réciproque. Il existe une
grande complicité et un plaisir de se rassembler. Une majorité de garçons se
perçoivent comme faisant partie d’un « ensemble » assez homogène sur
le plan du mode de vie lorsqu’ils revendiquent l’appartenance groupale. Une
dynamique de groupe « rassurante » peut faciliter le fait d’aborder
entre eux des questions touchant à la sexualité, qu’elle soit réelle ou
fantasmée, et de comparer leurs expériences.
Lorsque
les filles se réfèrent à un « nous », c’est plutôt le groupe de
copines d’origine maghrébine. Le groupe de filles est l’endroit où les tabous
disparaissent. On peut y parler de sexualité avec d’autres personnes qui ont
baigné dans un milieu éducatif comparable. La sexualité semble pouvoir y être
abordée sous toutes ses formes, et que le choix soit l’abstinence totale ou le
passage par des relations autres permettant la préservation de l’hymen, tout se
discute et se partage. En groupe avec des garçons, il semblerait que les filles
ne parlent pas facilement de sexualité (il est vrai que ceux-ci profitent de
l’occasion pour entrer dans le registre grivois), sauf parfois pour affirmer
leur virginité. Il semblerait que, quels que soient les choix et leurs raisons,
tout peut être discuté dans les groupes de filles, sans pression au conformisme
comparable à ce qui se passe pour certains garçons. Et certaines
y trouvent les conseils de personnes ayant plus d’expérience et un vécu
comparable.
Le
groupe des pairs permet donc des discussions différentes de celles que ces
jeunes peuvent avoir avec leurs parents ou la famille. Le thème du tabou est
abordé à plusieurs reprises. Pour les garçons, parler de sexualité à ses
parents est surtout vécu comme gênant ou irrespectueux. Certaines filles
évoquent plutôt le poids des traditions dans le groupe du « nous »
maghrébin. Un seul garçon (ayant des parents d’origine Algérienne) affirme
parler de sexualité avec ses parents. Cette attitude existe donc, bien que
restant anecdotique. Mais les parents semblent être considérés par la plupart
comme garants de certaines traditions, et difficilement en mesure de pouvoir
discuter d’amour ou de pulsions…
Hors
des groupes, certains n’abordent la sexualité qu’avec un proche (de la famille,
animateur associatif…) avec qui ils se sentent « à l’aise », ou avec le (la) petit(e) ami(e).
D’autres,
enfin, disent ne pas éprouver l’envie, ou avoir honte de parler de sexualité, y
compris avec les pairs. Peut-être redoutent-ils les moqueries, ou la non
confidentialité. Ou bien la pression des tabous est si forte et
culpabilisatrice qu’elle empêche d’aborder ces sujets même hors des limites du
cercle familial.
Les rapports sexuels : définition, motivations,
perception des risques
Pour
certains, majoritairement des garçons, le rapport sexuel est assimilable à une
ou plusieurs pénétrations, que le but soit reproductif ou d’avoir du plaisir.
D’autres,
surtout les filles (mais pas seulement), insistent plus précisément sur le fait
que le rapport sexuel n’est pas (ne doit pas être) que la pénétration, mais
aussi tout ce qui peut constituer un « échange
entre partenaires ». La pénétration devient alors secondaire,
puisqu’on peut avoir des rapports sexuels sans pénétration. On peut se donner
du plaisir mutuel sans pour autant passer à l’étape « pénétration ».
Il me paraît toutefois intéressant de faire une remarque : sur six
personnes qui parlent des préliminaires comme faisant partie intégrante de la
relation sexuelle, deux seulement disent avoir eu des rapports sexuels avec
pénétration. Pour les autres, certaines formes de sexualité seraient donc
uniquement fantasmées. On peut d’ailleurs le ressentir dans les écrits :
les relations amoureuses et sexuelles y sont décrites dans le registre de
« comment les choses devraient (devront ?) être »,
une sorte de mode d’emploi parfois. Il faut ainsi attendre d’être prête,
connaître son partenaire, être à l’aise avec lui, et rien ne semble réellement
interdire les caresses, même si elles peuvent impliquer l’« envie d’aller plus loin ». Ainsi peut-on se demander
jusqu’où peuvent aller ces « caresses »,
étant donné que certaines d’entre elles n’impliquent pas la perte de virginité.
En tout cas, éprouver des sentiments amoureux pour quelqu’un, et ce même si la
tradition n’en tient pas compte, est jugé nécessaire.
Mais
le fait d’avoir des rapports sexuels est-il finalement considéré par ces jeunes
comme « normal » ou pas ? En fait, la « normalité »
des relations sexuelles s’évalue au regard des motivations sous-jacentes (et
parfois aussi de l’utilisation ou non de protections contre les M.S.T.). Et si
pour de rares personnes très “identitaires”,
ces motivations ne peuvent qu’être traditionnelles ou religieuses (le
mariage est le passage préalable au fait d’avoir des relations, qu’il y ait des
sentiments ou pas), la majorité des personnes interrogées ne partagent pas
cette conception. Si d’autres personnes font aussi
référence à la religion, elles ne trouvent pas pour autant
« anormal » le fait d’avoir des rapports à leur âge, pour peu qu’il y
ait des sentiments. Ainsi, la sexualité peut-elle faire « intégralement partie de la vie amoureuse », mais pour
autant, il n’est pas question pour la majorité des filles d’accepter les
relations sexuelles sans amour. L’ « anormalité » des rapports
sexuels, en dehors de considérations religieuses, viendrait plutôt de l’absence
de sentiments réciproques. Le fait d’avoir un rapport sexuel, pour presque
toutes les filles interrogées suppose : « d’en avoir envie », « d’avoir
des sentiments », ou « d’être
amoureuse ». Le reste des rapports entrant alors pour certaines dans
le cadre de l’anormal. On remarquera aussi que la quasi -totalité des
filles parlent d’échanges mutuels d’affection, d’amour et de confiance envers
le (la) partenaire qu’on a aimé ou qu’on aimera, si l’on est « prête à s’engager ».
L’écrasante
majorité des garçons ne raisonnent pas de la même manière (mais doit-on
réellement s’en étonner ?) : Pour les garçons, il y a donc presque
toujours une ou des bonnes raisons de rechercher une partenaire sexuelle,
principalement l’ « envie » de rapports sexuels. Les garçons semblant
prendre en compte leur partenaire l’écrivent de manière moins directe, laissant
entendre que s’ils sont amoureux, ils sont plus respectueux. D’autres font passer leurs envies ou besoins avant le reste, et
la fille ne devient que le moyen employé pour arriver à la jouissance sexuelle.
Il est alors légitime de se demander si pour se livrer à cette activité de
manière égoïste il est nécessaire que la fille (objet indéfini) soit
consentante… L’acte sexuel n’est-il pas pour certains
un moyen de se valoriser plutôt qu’une source de plaisir ? Sinon, pour
« tirer son coup », à quoi bon avoir besoin d’une fille ?
On
remarquera que si certains ne tiennent pas compte du plaisir ou de l’avis de
« la fille », il en est aussi qui ne se soucient pas plus de SA
protection quant aux M.S.T. En effet, les garçons qui utilisent (ou pas) le
préservatif se présentent toujours comme les seuls à en décider. Ils auront de
plus tendance à utiliser le préservatif au regard de la personne avec qui ils ont des
rapports sexuels et de ses mœurs supposés .
L’opposition des genres
Comme
on peut le constater en ce qui concerne les différents sujets abordés
jusqu’ici, garçons et filles semblent être les groupes qui divergent le plus.
Les groupes des deux genres ont en tout cas un point commun : ils ont une
vision assez négative les uns des autres !
Pour
résumer un peu le point de vue des garçons, on pourrait dire que si certaines filles
acceptent les relations sexuelles facilement, ce qui constitue sans conteste un
de leurs aspects positifs, elles
peuvent aussi « jouer avec leur
pouvoir d’attraction » et souhaiter ce qu’un jeune homme qualifie de « contreparties », comprendre
ici « du romantisme, des bisous, des
fleurs », ce qui prend bien trop longtemps pour quelqu’un pressé de
conclure, et qui considère cette motivation comme claire et prioritaire… Un
seul garçon a un discours réellement différent, et affirme sa timidité.
Aux
yeux des filles, les garçons semblent être, et ce de manière assez unanime, des
individus majoritairement irresponsables, qui ne comprennent pas vraiment les
enjeux des relations homme-femme. Leur attitude est égoïste car ils se moquent
de ce qui ne les concerne pas directement, telle la grossesse. Une fille rappelle toutefois
que tous les garçons ne sont pas ainsi, et que si beaucoup se vantent de leurs
exploits sexuels, il en est aussi des timides et des modestes, pas si différents des filles
finalement… Il est alors peut-être encore permis aux filles de rêver au prince
charmant !
Y a-t-il des groupes de pensée ou de pratiques ?
Voici
pour finir ce que j’obtiens au regard de mes hypothèses :
Ø
L’hypothèse d’une
réelle différence entre les personnes “identitaires” [4]ou
pas (telles que décrites) est à invalider. Et si une minorité de personnes qui
se sentent plus fortement traditionalistes et religieuses (de religions d’ailleurs différentes) défendent des conceptions
plus radicales que la moyenne, la majorité des personnes qui désirent
transmettre les traditions à leurs enfants, ou qui se considèrent assez
pratiquantes, ne différent pas tant des autres. Une certaine ouverture d’esprit
vis-à-vis de la
sexualité, quel que soit le choix personnel de chacun semble être l’attitude la
plus répandue.
Ø
L’âge n’est pas non
plus un critère différenciateur des discours. Et en ce qui concerne les
discours majoritaires, les jeunes garçons en particulier semblent apprendre
vite auprès des aînés.
Ø
On ne peut pas dire grand chose du pays d’origine des parents comme élément
séparateur car il y a peu de points de comparaison. Il y a toutefois sûrement une grande
influence de la famille sur la sexualité (ou absence de sexualité) des filles…
Les filles semblent être souvent soumises au respect des traditions
lorsqu’elles sont d’origine maghrébine, mais il n’y a pas de comparaison
possible dans mon échantillon. Et, après tout, le catholicisme il y a peu, imposait des
traditions comparables aux jeunes Françaises !
Ø
L’élément le plus
séparateur des discours sur une majorité de questions abordées est plutôt le
genre. Tout d’abord pour des raisons que l’on pourrait retrouver dans une
multitude d’autres lieux : les filles sont majoritairement tournées vers
des types de relations durables et sentimentales alors que les garçons sont
plus intéressés directement par les rapports sexuels. Mais cette pression à la
sexualité des garçons est certainement accentuée dans le quartier par le fait
qu’ils passent tout leur temps libre ensemble, notamment à parler de sexe et à
se pousser les uns les autres à la pratique. La deuxième raison des différences
entre les filles et garçons interrogés me semble directement liée à l’origine
des parents. La transmission des traditions passe bien plus par les filles[5].
La pression vient de leur côté du groupe familial plus que du groupe des pairs.
La fonction des groupes de filles étant plutôt d’échapper en partie à la
pression des traditions et tabous. La surveillance des filles est parfois
accrue, et leurs frêles épaules portent souvent tout l’honneur d’une famille.
Mais si la synthèse de la vie traditionnelle et à l’européenne peut s’avérer
problématique, il me semble que dans la plupart des cas, elles se trouvent une
place entre les cultures.
Quelles actions de prévention des risques sexuels dans le
futur ?
Que tirer de tous ces
résultats en terme de préconisations pour le travail futur sur le
quartier ? On peut se questionner :
Ø
Doit-on par les messages de prévention susciter une certaine
peur, ou au contraire dédramatiser les choses au risque de banaliser la
maladie ? Je pense qu’il faut trouver un juste
équilibre entre la peur et la dédramatisation par une information objective sur
les risques. Mais comme pour la lutte contre le tabagisme ou la sécurité
routière, cela dépend de chaque individu, et en prévention de proximité, la
chance est de pouvoir développer des relations avec chacun et d’adapter le
message.
Ø
Est-ce qu’une prévention privilégiant la responsabilisation
individuelle peut fonctionner avec des personnes issues d’un milieu familial
imprégné d’un mode de fonctionnement « collectiviste » ? Je le crois. Les réponses
de la majorité des personnes interrogées nous montrent qu’elles ont bien une
approche individuelle de leur santé. Les adolescents et jeunes adultes élevés
en France, s’ils ont gardé pour certaines choses un fonctionnement
« collectiviste», ont tout de même adhéré largement aux visions
« individualistes » occidentales.
Certains
points précis vont devoir être abordés en tout cas avec les jeunes, et un
travail de réflexion doit être amorcé :
Ø
Ce n’est pas parce
qu’une personne parle de fidélité, de virginité et d’abstinence qu’elle ne sera
pour autant jamais concernée par la prévention. Il faut donc réfléchir à des
moyens d’aborder le sujet de la sexualité de manière non choquante avec des
personnes qui pourraient : penser que seule la pénétration vaginale est
contaminante et que tout autre type de relation est sans risque ; ne pas
se sentir concernées dans l’immédiat par la pratique de la sexualité.
Ø
Il y a toujours chez
certaines personnes une sous-évaluation du risque de contamination aux
infections sexuellement transmissibles
dans la pratique, et ce, même si la théorie est maîtrisée. Rappeler
certaines réalités épidémiologiques et attirer leur attention sur les risques
qu’ils courent (ce qui n’empêche pas de leur faire remarquer qu’ils font aussi
courir des risques à d’autres) s’avère indispensable.
Ø
Enfin, le point le plus
important me semble d’insister sur le respect
de la femme. La partenaire féminine reste pour un certain nombre un
instrument menant à la jouissance, avec qui on peut même avoir des rapports
violents[6]. Dans ce contexte, la préoccupation de
nombreux garçons vis à vis de la prévention est plus de savoir si la
« fille » est contaminante que de faire attention à ne pas la
contaminer elle [7].
La prise en compte de la partenaire, le respect qu’on lui porte, et le fait
qu’elle soit consentante, sont des points à aborder.
Les messages de prévention seront d’une utilité réduite tant que les garçons ne
penseront qu’à leur protection et leur plaisir sans inclure la fille
(androcentrisme ?). Il est des choses dans les discours masculins qu’il ne
faut en aucun cas tolérer lors des entretiens, que ce soit dit par provocation,
ou par expérience personnelle. C’est d’abord sur les
rapports de domination entre les genres, la construction de l’identité et la
structuration de l’individu qu’il faut s’interroger si l’on veut que les
messages de prévention passent…
Les
résultats de cette étude ne sont bien évidemment pas faits pour être
généralisés. C’est une étude monographique dont le but est de dégager des
orientations pour nos actions dans le quartier où elle a été menée. Il serait
tout de même intéressant de
prendre en compte les résultats obtenus, et de mener ce genre de
recherches avec une méthodologie similaire dans d’autres endroits. Tout d’abord
dans d’autres quartiers, pour pouvoir aussi s’adapter à la situation locale en
terme de prévention sida/M.S.T., et peut-être comparer les représentations et pratiques dans des
quartiers différents. Ensuite, auprès d’autres catégories de population, pour
voir si les représentations et pratiques varient tellement entre différents
lieux et selon l’éducation reçue.
Note : si le terme
identitaire est une catégorie obtenue suite à l'utilisation du logiciel MCA,
peut-être serait-il pertinent de mettre le mot entre guillemets pour faciliter
la compréhension du texte aux lecteurs.
[1]
Nous
rencontrons toutefois une moins grande proportion de fille que celle de
l’échantillon.
[2]
Phénoménologue et concepteur d’un programme informatique (Meaning Constitution
Analysis) aidant à faire ce travail.
[3]
Le
fait d’être "identitaire"
ou pas, évalué ici
par deux items : une pratique religieuse considérée par la personne elle-même comme assidue,
et/ou le désir marqué de transmettre les traditions familiales à ses propres enfants.
[4] qui
représentent les ¾ ? de l’échantillon.
[5] Mais le fait que les sexes soient assez
séparés depuis leur jeune âge participe toutefois certainement à accentuer les
préoccupations sexuelles des garçons à la puberté. C’est leur tribut aux
traditions….
[6]
Ce
qui renforce le risque de déchirement du préservatif.
[7]
Par exemple au niveau de la fellation : le garçon sachant qu’il risque
moins que la fille en n’utilisant pas de préservatif préfèrera ne pas en
utiliser, quitte à lui faire courir un risque à elle.
Pour avoir accès à ce
document, cliquez ici
Accès à d'autres documents en psychologie