Première expérience et réflexion sur le « Réveillon de la solidarité 2004 »

Les images de Noël évoquent des histoires de familles unies et soudées. Pour certains d'entre nous, le temps des fêtes représente le summum du bonheur. Pour d'autres, c'est une longue plage de mélancolie, d'angoisses et de solitude. Une famille éclatée qui ne se parle plus, un horaire de travail qui oblige à rester au poste la nuit de Noël, peut-être une perte de travail, des ressources financières aussi basses que le moral, un décès récent ou une absence douloureuse parmi les proches. Sensibilisée par la souffrance d’autrui en ces périodes aussi fragilisantes, je décidai de changer le scénario de mon réveillon et de mettre à disposition mes compétences en psychologie, domaine dans lequel j'ai repris des études universitaires.

J’appris qu’un dîner était offert au parc des expositions de Nîmes pour toute personne nécessiteuse. Les coordonnées du pasteur Poujol, organisateur de cette soirée, me furent transmises. Ma proposition pour y participer bénévolement fut chaleureusement acceptée. Je parlai de mon projet à la mère d'un ami décédé. Elle redoutait la période de Noël où sa peine serait ravivée et souhaita m'accompagner. Nous nous sommes donc rendues toutes les deux le 24 décembre à 20h45 au Stade des Costières de Nîmes où nous avons été accueillies par plusieurs bénévoles, repérables par leurs badges. Ceux-ci nous ont dirigées vers le stand en charge de la répartition des tâches.

A notre grande surprise, le nombre des personnes volontaires avait atteint son quota. Certaines s'en retournèrent, déçues. Les langues se délièrent et nous fîmes quelques rencontres. Un homme d'une soixantaine d'années nous confia «je préfère être entouré d'inconnus plutôt que de supporter ma belle famille !» et une dame d'ajouter : «ma fille est partie de la maison, je suis maintenant seule…depuis plusieurs années, je participe à cette manifestation. Nous sommes heureux de nous retrouver chaque année entre bénévoles! »

Au moment où nous envisagions de partir, une rumeur circula : « des cars remplis de nouveaux arrivants sont sur le point d’arriver ». Les années passées, cette manifestation se produisait dans les Arènes, au centre ville mais un spectacle y était donné en ce réveillon 2004.

En attendant cette arrivée prochaine, nous fûmes cordialement invitées à prendre place autour des tables. Nous expliquâmes au bénévole en charge du service de notre table, que nous étions des bénévoles également, même si ça n’était pas repérable par des badges (stock épuisé !) puis nous ajoutâmes que nous avions déjà dîné. Malgré tout, nous avons été servies très solennellement. C’est alors que le spectacle commença. Les « gospels » : des jeunes filles colorées chantaient des hymnes religieux. Le volume du son était si élevé que je n’arrivai pas à communiquer avec mon voisin de droite qui mangeait avec grand appétit. Trouvant indécent de ne pas l’accompagner, je me décidai à manger un peu. Puis je quittai la table pour observer et repérer les personnes en détresse mais cela s’avéra impossible car les bénévoles s’y mélangeaient. Alors je me dirigeai vers l’autre bout de la salle où des ateliers d’expression manuelle occupaient des enfants. La prise en charge individuelle ou par petits groupes fut très bien menée par les animateurs. Ces activités firent la joie des plus petits.

A la fin du repas, déçue, je décidai de partir, ne pouvant remplir ma mission d’aide pour les raisons suivantes :

- la difficulté de repérer les personnes en détresse

- le volume du son trop élevé ne permettant pas de communiquer.

A la suite de cette expérience, quelques questions me viennent à l’esprit :

• Si une telle manifestation n’existait pas, que serait le réveillon de Noël pour le bénévole? Ils se sont mobilisés en si grand nombre ce soir-là : ne serait-ce pas plutôt leur soirée ? Et finalement, qui a besoin de qui ?

• Le choix du spectacle dans les arènes a été prioritaire, n’est-ce pas une façon, ce soir-là précisément, d’écarter les personnes dérangeantes en les éloignant du centre ville pour ainsi les dérober au regard de tous ?

• Le fait d’offrir charitablement un repas aux personnes démunies implique-t-il en retour des actions à des fins de récupération religieuse ? (chants religieux, récits bibliques, distribution gratuite de cassettes vidéo et magnétophone relatant la vie de Jésus : cela ressemble fort à de la propagande même si Noël est à l’origine une fête religieuse)

• Et enfin, quel est réellement l’objectif de cette manifestation ? N’est-il pas celui d’une « simple » récréation à l’intention des plus démunis ?

• Et en fait, à qui profite cette manifestation si fortement médiatisée et subventionnée?

Pour conclure, rendons hommage à toute la générosité mise en œuvre ce soir-là et pourquoi ne pas rêver à une soirée de réveillon favorisant la rencontre, l’échange entre nécessiteux, croyants et non-croyants sans distinction et surtout sans contrepartie.

Anne-Claude Ayet

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