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MAÎTRISE DE PSYCHOLOGIE CLINIQUE


PARIS VII, JUSSIEU


UFR DES SCIENCES HUMAINES CLINIQUES





MEMOIRE DE MAÎTRISE


ORIGINAL



TACT ET CONTACT DANS L’ACCOMPAGNEMENT

DES MALADES DU SANG




ETUDIANT : WROBEL Zdzislaw
( N° : 1990 1821 )

Sous la direction de Monsieur le Professeur LUC RIDEL



I/ Cheminement d’un questionnement ( sur la ) clinique


(M. Buber, Distance and Relation, in Psychiatry, 1957, p. 97 – 104)


1. Cadre du stage : le service hématologie de l’hôpital Saint Antoine

Le stage se déroule au service hématologie de l’hôpital Saint Antoine, à Paris. La consultation est assurée par une douzaine de cliniciens. S’y ajoute l’équipe paramédicale (infirmières, aides-soignantes), la psychologue, ses trois stagiaires, une kinésithérapeute, une diététicienne, une assistante sociale, les agents d’entretien et l’équipe de brancardage. Les patients souffrent des maladies du sang et des ganglions : leucémies, lymphomes…Le service est spécialisé dans le traitement de la moelle osseuse précédé d’un bilan (radios pulmonaires, bilan cardiaque, sanguin, recherche d’un foyer infectieux), suivi de la chimiothérapie (d’où anémie, dysfonctionnements paresthésiques : nausées, douleurs) et de la greffe de la moelle osseuse. Les malades, qui peuvent connaître des rémissions suivies de rechutes, sont placés en secteur protégé (P1) ou stérile (P2 et P3). Ceux du P1 sont en attente de greffe (prélevée sur eux–mêmes : autogreffe, ou sur un autre : allogreffe). Les greffés sont en secteur stérile, car la greffe provoque l’aplasie (affaiblissement des défenses immunitaires par diminution des globules blancs, rouges et des plaquettes) nécessitant des mesures rigoureuses d’asepsie. Ils restent cantonnés dans l’étroit périmètre d’« un espace stérile délimité par un plafond comportant des filtres, et des lattes en plastique transparent entourant le lit. Cet espace est constamment balayé par de l’air stérile, pulsé au travers des filtres. Les moteurs alimentant ce système entretiennent une température variant entre 25° et 30°, et un bruit de fond plus ou moins important. (Livret d’accueil). Ils sont privés du contact tactile direct avec les autres et avec tout objet non stérilisé. Les visiteurs, en P3, communiquent par interphone. Cette isolation peut induire des décompensations (anxiété, insomnies, hypersomnie, agressivité, dépression...). D’où mes interrogations sur :


1° l’impact de cette « contactualité » filtrée sur le psychisme des patients

2° la fonction du psychologue auprès des patients placés dans ces conditions.


2. Fonctions posées, supposées et possibles du psychologue clinicien en hématologie

La présentation des « Aspects psychologiques » de l’hospitalisation dans le Livret d’accueil témoigne de la fonction du psychologue à l’hôpital. De l’image que l’on souhaite en donner :

« Durant votre hospitalisation vous serez amenés à rencontrer la psychologue attachée au service. Vous pourrez, si vous le souhaitez, engager avec elle un dialogue concernant les difficultés que provoquent (sic) votre maladie. Elle sera à votre écoute et vous aidera dans les moments difficiles que vous pourriez être amenés à rencontrer lors d’une hospitalisation de longue durée. D’autre part, elle pourra, si vous le souhaitez, rencontrer vos familles pour les aider à vous accompagner. Nous vous informons également de l’existence d’une consultation psychologique, tous les lundis après – midi, pour les personnes qui souhaiteraient entreprendre un travail de réflexion en relation avec leur maladie (…) » (ibid. je souligne).

L’erreur orthographique (« les difficultés que provoquent votre maladie » au lieu de « que provoque votre maladie ») souligne un a priori psychogénétique : les difficultés (sous entendu, sur le mode de la litote, difficultés psychiques) du malade seraient à l’origine de sa maladie somatique. Le lecteur comprend entre les lignes : « les difficultés psychiques ont provoqué la maladie, qui à son tour risque de provoquer d’autres difficultés psychiques ». Ce lapsus calami, par élision significative du terme de « psychisme », résulte, sans doute, d’un souci de tact. En témoignent les précautions verbales (« vous serez amenés », « si vous le souhaitez » - deux fois dans le texte -, avec un recours fréquent au conditionnel : « dans les moments difficiles que vous pourriez être amenés à rencontrer », « les personnes qui souhaiteraient »…) insistant sur le libre choix concernant l’entrée en relation avec le psychologue. La même prudence transparaît dans la dernière phrase où la proposition d’un travail psychothérapique, au–delà de l’accompagnement stricto sensu, est présentée comme un « travail de réflexion en relation avec la maladie ». En situant l’aide psychothérapique dans la sphère cognitive consciente et en circonscrivant la thématique de la réflexion au champ de la maladie somatique on espère, sans doute, rassurer les candidats éventuels à un travail psychique plus approfondi sur soi. Le profil psychosomatique rend l’accès à la « chose » psychique malaisé, d’où l’objectif difficile du psychologue : (re)mentaliser le sujet (souvent méfiant envers le « psy ») par élaboration d’une affectivité « illisible » et / ou immaîtrisable : alexithymique.


L’accompagnant pénètre dans la chambre du malade pour proposer une aide psychologique à qui « n’a rien demandé », ce qui semble à certains suspect : le « je ne suis pas fou ! » parfois énoncé, plus souvent sous – entendu. Les refus sont plus rares chez les hospitalisés de longue durée. Certains ne souhaitent pas d’entretien un jour et l’acceptent le lendemain. Parfois quelques minutes suffisent, tandis que d’autres fois l’entretien pourra se prolonger bien davantage. Une grande souplesse et adaptabilité de la part du psychologue sont ici requises, conditions sine qua non d’une entrée en relation progressive, rarement compromise a priori, mais jamais, non plus, gagnée d’avance. Si la plupart acceptent un contact a minima, ils le circonscrivent, chacun à sa manière, de sorte à limiter les échanges à des couches plus ou moins profondes du dicible, du montrable, de l’actualisable. Le degré de dévoilement des signifiants de la souffrance est variable. Il évolue avec le temps et le degré de confiance qui s’instaure ou de méfiance qui demeure.

La plupart des patients ont un accès malaisé aux affects dépressifs et à l’anxiété qu’ils (dé)nient le plus souvent : les propos restent voilés, prudents, conventionnels. Un discours de contre–investissement affleure fréquemment (celui, à thématique agonistique d’un « ne pas lâcher prise ») de qui « se bat », refuse de « se laisser aller ». Sous – entendu : ne pleure pas, ne se lamente pas, ne se plaint pas. Ne s’effondre pas dans une dépression. Fait face courageusement à la situation, s’arc-boute pour ne pas craquer. Fréquence en somme de la lutte anti–dépressive  qui témoigne de la difficulté à élaborer la « position dépressive ».

Mais la qualité de l’accompagnement dépend non seulement du profil psychique de l’accompagné, mais encore de celui de l’accompagnant : les effets de réciprocité, de complémentarité, de dépendance et de contre–dépendance, d’identification et de contre–identification jouent, dans une inévitable logique transféro–contre–transférentielle, pour le meilleur ou pour le pire. Au bénéfice ou au dépens du sujet malade. Selon le postulat du primat du contre–transfert sur le transfert (P. Neyraut, Le transfert) on ne peut qu’être sensible à l’impact des formations d’inconscient de l’accompagnant sur le transfert (et le symptôme) de l’accompagné. Nécessité donc d’un travail d’élaboration individuel (en thérapie personnelle) et collectif (en supervision). L’adéquation des méthodes et savoir–faire se voit ainsi interrogée, remise en question non sans produire des remaniements psychiques : formation à un métier où les compétences requises interpellent le (futur) « sujet psychologue clinicien » au niveau de sa personnalité globale. Formation professionnelle qui confine à une formation de l’inconscient : le psy n’est–il pas à lui–même son principal outil professionnel ?


D’où une troisième question :

3° Comment proposer un accompagnement, visant notamment un certain accès à l’affectivité, à des patients de profil psychosomatique « désaffectivés », peu demandeurs en la matière, et méfiants devant tout soupçon d’intrusion psycho - affective ?


3. Posture éthico – clinique d’un accompagnant psychologue stagiaire

J’arrive sur mon lieu de stage conscient que mes représentations initiales de la fonction du psychologue s’inscrivent dans un processus personnel d’élaboration de ma position dépressive visant un désir (dé)/culpabilisant de réparation. Je conçois le rôle du psychologue, a minima (tant dans les rapports avec les personnels qu’avec les malades) en termes humanistes de (ré)animation–réparation contactuelle affermissante : l’affectif, sublimé en sentiment de bienveillance et modulé par le principe de réalité du tact, censé induire des effets mutatifs. Je postule en somme, dans mon zèle et ma bonne volonté de stagiaire néophyte, la nécessité d’un certain phatique plein (dans le sentiment), opposé au phatique vide alexithymique, du contact pour le contact, du contact froid, purement professionnel, instrumentalisé au service d’un faire objectivant. Ce « phatique vide» institutionnel viendrait redoubler et conforter un fonctionnement psychique analogue (opératoire) chez les somatisants. L’effectivité (F. Veldman, 1989) anti-affective de l’institution répondrait en miroir au fonctionnement du malade somatosique dans une spécularité délétère. Le parti pris inverse, celui de (ré)injection de l’affectivité, intégrée (et dosée ) dans l’effectivité institutionnelle, aurait une fonction de relibidinalisation pour permettre un certain accès à des mouvements psychiques de (re)mentalisation affective. Ceci au sein d’une contactualité d’étayage (ré)humanisant. Visée d’un « affermissement existentiel » institutionnel (F. Veldman, 1989) dans l’optique de M. Buber déclarant qu’ « une société peut – être dite réellement humaine dans la mesure où ses membres s’affermissent les uns les autres. » (M. Buber, 1957).


Si l’effectivité hospitalière opératoire vise à restreindre, à réprimer voire à dénier les manifestations de l’affectivité par souci (en partie légitime : motivé par l’efficacité de l’action thérapique) du primat de la maîtrise instrumentale objectivante de l’action clinique, je me place quant à moi, en tant qu’accompagnant dans une perspective contraire, mais, à mon sens complémentaire : promouvoir du Bon relationnel. Souci paradoxal de travailler les modalités du contactuel dans une institution qui fonctionne à la dé–limitation stricte des contacts (hygiène, limitation des visites…) vecteur de contagions préjudiciables, à coup sûr, à la santé des patients. Je me retrouve donc, avec mon parti pris du contactuel, au lieu même de tous les dangers (réels et imaginaires) de l’institution. A contre–courant de son fonctionnement.


Pourtant limitation ne veut pas dire absence de contacts. Les contacts interdits sont en fait modelés par l’effectivité institutionnelle et remodelés, voire même pris à revers, par la pratique réelle des soignants qui « d’instinct » les réaffectent d’un coefficient variable d’affectivité, de contactuel « sauvage ». Contactuel proximal, bienveillant ou brutal, affectif en tout cas, considéré comme marginal par l’institution, mais qui rend l’hospitalisation « supportable » et n’est sans doute pas sans effet sur le cours même de la maladie.

D’où d’autres questions :


4° La prégnance d’un habitus relationnel institutionnel tendanciellement désaffectivé n’aggrave-t-elle pas chez les somatisants leur fonctionnement « opératoire » dans une redoublement spéculaire et toxique entre le «  profile » du malade et celui de l’institution ?


5° Dans quelle mesure La pratique relationnelle réelle des soignants reproduit ou, au contraire, contourne, le principe d’effectivité inaffective, objectivante, de l’institution en la rendant ainsi plus ou moins supportable voire même en retentissant (ne serait–ce que marginalement) sur le rendement thérapique hospitalier ?

6° Dans quelle mesure le psychologue peut–il faire contre–poids par rapport au primat du contactuel institutionnel objectivé–objectivant et permettre au somatisant une élaboration psychoaffective pour (objectif minimal) amender la qualité du vécu dans le présent de l’hospitalisation et avoir un certain effet (objectif maximal et sans doute invérifiable !) sur les processus-même de « désomatisation » (ou guérison) ?


7° Dans quelle mesure les rapports de pouvoirs et l’habitus institutionnel favorisent ou freinent l’efficace des visées thérapiques en général et psychothérapiques en particulier.

8° Dans quelle mesure enfin la créativité psychothérapeutique peut–elle s’exercer à l’hôpital prise qu’elle est entre un contrôle nécessaire (pour éviter les dérives toxiques) et une dissuasion de l’inventivité psychothérapeutique (nocive, car à terme stérilisante) ?


En somme l’action du psychologue clinicien en institution me semble surdéterminée :



La contactualité distale m’apparaît être une modalité défensive qui peut entraver le processus de guérison : le fonctionnement institutionnel opératoire confortant la répétition du traumatique originaire ayant débouché, dans de nombreux cas, sur l’éclosion de la somatisation. Mais la transgression de ce dispositif comporte elle–même le risque d’accentuer les mécanismes de défense visant à restaurer le contre–investissement du trauma : danger de rupture du pacte symbolique de l’accompagnement. Nécessité donc d’une démarche prudente pleine d’égards envers le Moi de l’accompagné et des agents institutionnels (principe de tact).



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