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Richard SALICRU

 

La mère en maux.

Essai sur l'écrit du cri.

Mémoire de D.E.A.

Université de Paris VII

Année 1993/94

 

"Ma mère serre ma lettre sur sa plaie comme si à travers le pansement les mots pouvaient l'imprégner, la cautériser"

 

I

L'art et la mort

"Supporter la vie reste bel et bien le premier devoir de tous les vivants. L'illusion perd toute valeur quand elle nous en empêche."

Sigmund Freud.

 

De la peur de la mort à la naissance de l'art.

Constater que l'acte créateur est lié aux angoisses de mort du corps propre, il n'y a là rien de nouveau. Cela fait partie des évidences ressassées par la philosophie, la sociologie et quelquefois même la psychanalyse. Néanmoins, au-delà de ce constat, il est indispensable de fouiller plus avant pour mieux comprendre ce qui détermine ce lien profond entre l'acte créateur et l'appréhension que l'homme a de la mort.

Pour autant qu'il faille se débarrasser de toutes les observations de ce lien dans les domaines socio-culturels, il apparaît nécessaire de faire un tour d'horizon sur les justifications de celui-ci. Peut-on dire que l'art est né de l'approche de la mort ? Non, ce raccourci ne peut se défendre. René Huyghe propose que l'art soit au départ une "prise de possession", "un moyen accordé à l'homme de se rattacher au monde extérieur, d'atténuer la différence de nature qui l'en sépare et la crainte qu'il éprouve devant lui". En résumé, il s'agit pour lui d'un "effort de possession" selon que l'homme tente de se projeter sur l'univers, d'y inscrire une trace, ou bien qu'il essaie de s'approprier le monde extérieur sous la forme d'une image ou d'un double "désormais maniable et soumis". Projection et captation partent, pour René Huyghe, d'une seule et même volonté de maîtrise. Cette idée de maîtrise du monde extérieur, nous la retrouvons chez Freud dans l'évocation du jeu de la bobine, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir à maintes reprises du fait du caractère fondateur de cette observation en ce qui concerne l'origine de l'acte créateur.

Cet effort de possession est pour sa part à la base même de l'existence de l'homme en tant qu'être de langage. La représentation de mot est liée à la représentation de chose, laquelle ne saurait se défaire de l'image. Reproduire l'image d'objet étranger, c'est en quelque sorte en posséder un exemplaire qui ne peut plus échapper. Posséder c'est maîtriser, pouvoir jeter et reprendre, façonner et détruire ; cela, depuis la nuit des temps, la magie et les sentiments de toute-puissance l'ont toujours pointé du doigt. Il est clair que reproduire l'image de l'animal, pour l'homme de la préhistoire, c'est avoir une emprise sur lui, c'est une première chasse. Pour l'enfant, reproduire sa famille sur du papier, c'est aussi être tout à fait certain qu'il n'aura jamais à affronter la perte. Avec l'image et l'illusion, voire l'hallucination, l'homme se donne les moyens de ne plus être à la merci de la nature et nous le verrons de la mort. Pour l'instant nous acquérons la certitude que la reproduction d'un double par l'image est un premier rapport à l'autre, l'autre si étrange, si différent et que l'on voudrait si proche.

La nature est cruelle. Assimilée au destin, nous pouvons la décrire comme ce qui finalement reste de l'ordre de l'immuable. Pourtant, depuis qu'il existe, l'homme a passé son temps à tenter de la maîtriser, pourquoi ? Se serait-il aperçu, différemment de ses congénères les primates, que la nature détermine le destin de tous les êtres vivants à qui elle donne le pouvoir d'être ? Les primates les plus évolués, disons les plus proches de l'homme, ne semblent ressentir la douleur de la perte que dans la mesure où ils sont alors incapables de vivre sans l'objet perdu.

Si rien ne vient remplacer sa mère, le bébé primate se déprime et meurt, non seulement du fait de l'absence de nourriture mais aussi du fait de la séparation d'avec l'objet maternel, source de sécurité. La perte de l'objet maternel est ressenti comme traumatisme dès lors que l'attachement tel que le décrit Bowlby vient à se trouver rompu. Mais l'interprétation de Seligman ne manque pas d'intérêt. Au delà du sentiment d'attachement, ce serait pour lui le sentiment de perte du contrôle du monde extérieur qui viendrait provoquer le stress. Nous apprenons par ailleurs que la séparation entraîne une protestation, première réponse au départ de la mère. La théorie de la "reactance" de Wortman & Brehm ajoute que c'est la "liberté de choix" qui est menacée lors de la séparation. Ainsi, la première réaction de protestation serait une tentative de restaurer cette liberté de choix perdue. La répétition de la séparation diminue l'intensité de la réaction. Ceci est important car nous retrouvons dans ces observations éthologiques le désir de contrôle, de maîtrise ainsi que l'apaisement ressenti dans la répétition de l'événement du moment que l'issue, à chaque émergence, est le retour de l'objet.

Mais quittons le terrain cognitiviste. Ainsi, l'homme possède ce moyen nouveau de créer l'image, la représentation de l'objet. Cette création lui autorise deux choses : ne pas vivre la perte, la séparation, de manière absolue, mais compenser dans l'illusion de l'image et, peut-être, trouver dans l'objet-image un réceptacle pour sa libido et pouvoir contrôler le monde extérieur, se restaurer dans sa liberté de choix, alors même qu'il se sait complètement dépendant des caprices de la nature. Mais voilà, nous ne pouvons nous contenter de ces explications. Il est inévitable de procéder à l'intégration d'une donnée fondamentale de l'existence humaine : le temps.

 

L'homme aux prises avec ses limites : mort ou castration ?

Depuis Freud et la découverte de l'inconscient, nous savons qu'au fond de nous-mêmes nous ignorons le temps et au-delà, notre propre éphémère. Inconsciemment nous sommes immortels. Au fond, si nous ne nous posons pas la question, celle de notre mort propre, nous n'y pensons pas spécialement. C'est seulement la mort de l'autre qui nous préoccupe. Si nous perdons quelqu'un de proche, nous souffrons et cela nous ne pouvons l'ignorer, nous pouvons tout au plus le refouler avec toutes les représentations que cet affect transporte. Mais l'ignorer n'est pas envisageable.

La mort de l'autre entraîne deux sentiments opposés : d'une part la peine en relation avec l'investissement dirigé vers cet objet d'amour, d'autre part la culpabilité émanant directement des sentiments inévitables de haine que nous avons aussi investis sur ce même objet, mais pas toujours reconnus. La perte de l'autre remue tout cela et nous projette dans un deuil difficile et entaché de réminiscences douloureuses. Toute la relation d'objet est impliquée dans le vécu du deuil mais elle n'est pas isolée de tout un ensemble d'autres éléments et en particulier de notre mort propre, qui profite de l'occasion pour nous montrer qu'elle plane quelque part au dessus de nos têtes. Consciemment et quand nous avons l'occasion d'y penser, nous sommes mortels et nous avons peur.

Peur de la mort ? Non. Rarement de manière explicite. Mais peur de souffrir, peur de vieillir, peur de perdre quelque chose, quelquefois peur, tout simplement. L'angoisse de mourir existe-t-elle vraiment ? Qui a peur de mourir puisque nous ne savons pas ce que c'est que la mort ? Nous nous confortons en disant qu'une fois morts nous ne serons plus là pour voir la mort. Donc, la mort, non seulement nous ne la connaissons pas, mais nous ne la connaîtrons jamais, du moins le supposons-nous. Michel de M'Uzan nous montre à quel point nous sommes capables d'utiliser les stratégies les plus subtiles pour éviter de nous confronter à la mort réelle. En effet, s.j.e.m., "si j'étais mort" est l'expression même de la tentative de se croire dans la mort alors que l'on est vivant en réalité.

"La mort serait annulée si, étant mort, on pouvait encore s'interroger sur la réalité de sa propre vie".

Par ailleurs, dans ce court texte, Michel de M'Uzan pose la question de la dialectique entre angoisse de mort et angoisse de castration :

"Si l'on pose avec Freud que la mort n'est pas représentée dans l'inconscient, qu'elle n'y figure jamais qu'un analogon de la castration et que derrière l'angoisse de castration il n'y a jamais rien de dissimulé, il faut prendre s.j.e.m. pour une manifestation détournée du complexe de castration…"

Cette réflexion doit toujours rester présente à l'esprit tout au long de notre recherche. Pour l'inconscient, ce n'est pas la mort qui se joue en tant que telle, ce n'est pas le temps, mais avant tout la castration, l'obstacle à l'atteinte d'une satisfaction. Quand nous parlons d'angoisse de mort, nous ne parlons pas de notre peur de mourir. Nous parlons d'autre chose, en quelque sorte et de manière indirecte, nous parlons d'altérité.

 

Mort de soi, mort de l'autre : disparaître.

"Il n'y a plus d'effroi dans la vie pour celui qui a réellement compris que la mort n'a rien d'effrayant". Là, nous avons une proposition très intéressante qui trouve toute sa force dans le "réellement". Il ne s'agit pas de comprendre que la mort n'a rien d'effrayant, il faut le réaliser. Car la mort appartient au domaine du réel, du réel pur. La mort, c'est définitivement la disparition de l'être en tant qu'il se trouve exister dans l'incarnation d'un corps par une âme. Le corps, physiquement, biologiquement, se détruit et n'est plus. L'âme… Que dire ? Jankélévitch résume : "L'existant, …/…, s'abîme en un clin d'oeil dans la trappe du non-être". Un clin d'oeil, une paupière qui se ferme, une lumière qui s'éteint et puis plus rien… Tout ce qui a été n'est plus. Des années de construction, de structuration, d'effort d'exister, en un "clin d'oeil" disparaissent.

Mais disparaître suppose un regard. Ce qui disparaît ne paraît plus. Pour qui ? Pour l'autre. Indifféremment nous disons : "il n'est plus" ou "ce cher disparu". Lorsque l'autre nous a quitté, nous ne disons jamais : "il n'est pas" puisqu'il a été, nous le nommons "le défunt", celui qui a été et qui a été pour nous. Il est perdu, peut-être pouvons-nous l'accepter, mais avant de disparaître à notre regard, il était là, proche. Alors, tout un ensemble d'efforts est nécessaire pour nous aider à soutenir le souvenir, efforts qui ressemblent fort aux efforts de tout être pour vivre. Avant de naître nous ne sommes pas, après la mort nous ne sommes plus. Et pourtant, qu'elle est la différence, du moins que pouvons nous réellement en dire ?

 

La mort, question de l'homme.

Pour en revenir à la question de la réalité de la mort, il suffit de se reporter à la quantité inestimable de représentations, artistiques ou non, de la mort, pour se rendre compte de la difficulté que celle-ci oppose à l'esprit humain. Il ne saurait être question ici de parcourir ce musée incommensurable réunissant toutes les civilisations, tous les âges et tous les pays du monde. Depuis l'avènement de l'homo-sapiens, la représentation de la mort en images ou en mythes a été l'une des occupations essentielles de l'homme. Il suffit de se référer à certains ouvrages de thanatologie pour mesurer l'ampleur de cette démarche. Mythes et religions se sont succédés pour donner une réponse au mystère de la mort. Toutes les formes de rituels attachés à la conjuration de l'angoisse de mourir ont été et sont encore aujourd'hui les outils de cette tentative de donner un sens à notre disparition de l'espace terrestre en même temps d'ailleurs, faut-il le préciser, qu'à notre présence.

Réaliser que nous devons mourir un jour qui n'est défini par aucune logique, reste peut-être le pas le plus difficile à faire. Alors de tout temps, l'homme a utilisé tout un ensemble de stratagèmes soit pour éviter cette confrontation avec l'idée de mourir, soit pour l'affronter mais de manière ritualisée, en liaison avec l'appui du groupe, de la famille ou de l'ethnie entière. Affronter la réalité de la mort a en effet toujours été vécu avec la résonance du groupe d'appartenance. Les approches de la mort propre les plus efficaces, c'est à dire les moins angoissantes, se sont pratiquement toujours étayées sur les théories groupales. Les religions en font partie, mais aussi toutes les croyances les plus diverses avec leurs rituels jusqu'au formidable déploiement de la médecine actuelle qui ritualise à sa manière, qui n'est peut-être pas la plus efficace, le passage vers l'au-delà dans une lutte effrénée pour le repousser le plus possible.

 

"Si vis vitam, para mortem."

Car en fait la mort soulève la question du temps autant que celle du destin. Mais, si du destin nous n'avons guère de connaissance à moins que nous décidions de croire en une doctrine divinatoire, nous avons par contre une notion du temps particulièrement précise, et ce, dès notre plus tendre enfance. Mais avant d'en venir à cette question et pour en finir avec la proposition d'Epicure, il nous faut tenter de comprendre en quoi le fait de savoir que la mort n'a rien d'effrayant peut nous aider à mieux vivre. Vaste problème. Il semble que du point de vue psychanalytique, si nous acceptons l'hypothèse que l'angoisse de mort est, dans une certaine mesure, subordonnée à l'angoisse de castration, nous puissions faire le postulat, certes très raccourci et facile, que mieux gérer l'angoisse de castration permet de mieux gérer, par voie de conséquence, l'angoisse de mort. Car si la peur de la castration naît en partie des expériences de perte momentanée de l'objet nourricier, là aussi en prenant un raccourci que nous tenterons de compenser dans la suite, nous pourrions dire qu'elle est donc à la fois le modèle sur lequel l'angoisse de mort vient se calquer mais aussi il semble qu'elle entretienne tout au long de notre vie le foyer auprès duquel se réchauffe notre peur de mourir.

 

La conscience du temps. Temps, loi et loi du temps.

Revenons à la question du temps. Le temps mesure deux choses essentielles pour l'homme : d'abord la distance, l'espace qui sépare deux moments différents, deux états distincts et puis la limite de la vie de l'homme, la durée, le délai du destin. Qu'en déduire ? Nous n'avons de conscience du temps que parce que nous naissons et nous mourons c'est vrai, mais, en réalité, nous ne conceptualisons le temps que du fait de l'attente entre deux émergences du plaisir. Entre les deux c'est le temps faible, soit la "petite mort", soit l'espoir, l'attente, puis l'énergie donnée pour tenter de retrouver la nouvelle émergence. Nous ne passons notre temps qu'à désirer et poursuivre une quête dont nous voulons tous ignorer qu'elle est sans espoir, d'un instant à l'autre, d'un plaisir à l'autre. Même la recherche du temps perdu est le fol espoir de retrouver du plaisir. Et c'est justement parce que ce plaisir n'est jamais retrouvé, vaguement frôlé de temps en temps, que nous continuons à espérer, développant finalement une formidable énergie de vie dans notre recherche incessante. Si nous trouvions, que se passerait-il ? Nous fondrions peut-être comme une poupée de cire qui trouve la chaleur, ou bien tomberions-nous dans la mer comme Icare ayant atteint le nirvana perdu du vol et de la liberté. Evidemment sortir de ce dédale de la loi du père castrateur, qui ne l'a souhaité, retourner dans le bonheur jamais oublié de la fusion avec la mère, qui ne l'a espéré, inconsciemment ? La psychose nous montre à quel point ce désir peut mener à l'illusion géniale, l'hallucination parfaite, la fêlure définitive de la loi temporelle.

Le temps est la loi la plus immuable qui soit. Rien n'arrête le temps. Nous passons notre vie à remarquer que toutes les lois s'effondrent un jour ou l'autre, toutes les civilisations en lesquelles nous croyons ont de terribles failles, que le père réel n'est jamais si rigide qu'il ne le paraît et nous passons notre vie à jouer de cette dialectique entre la faille et la loi, fusion-défusion, jeu qui nous aide à soutenir le Je dans son intégrité, lutte contre les démons qui nous donne notre joie de vivre et révolution contre la règle qui nous permet de nous affirmer, enfin d'aimer.

Mais le temps ? Que faire pour le détourner ? Le ralentir ou l'accélérer ? N'avons-nous jamais souhaité aller plus vite sur un moment de douleur ou de déplaisir et traîner lors d'un bon moment ? Cette distorsion impossible nous insupporte, pour autant qu'elle nous maintient dans notre existence, qu'elle détermine notre pensée, notre langage, notre possibilité de conceptualiser. Le temps définit à la fois la scansion pure, la règle immuable, après l'an un vient l'an deux, etc… et la binarité, deux émergences étant toujours séparées par un temps faible, temps mort, attente, recherche. Seulement, avec le temps nous avons du mal à jouer la distorsion. Alors, peut-être avons nous inventé la musique et l'art en général qui viennent casser ou créer le rythme, syncopant, berçant, dansant la vie. L'art n'est-il pas une dialectique bourdonnante entre l'être et le temps ? L'art ne répond-il pas de cette fêlure dans l'inéluctable, l'art que nous savons être toujours le porteur des révolutions, qu'elles soient individuelles ou collectives, l'art que nous savons être le dernier espoir d'un pays déchiré par la guerre civile concertant dans un désespoir absolu au milieu d'une ruine, le dernier espoir d'un condamné dissertant dans un journal de dernière minute, comme s'il fallait, avant de laisser au temps l'art de son ouvrage, tenter une dernière fois de se jouer de lui.

"La grande inspiratrice, c'est la mort, si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n'aurez rien. Il faut payer."

 

La question d'une recherche.

Evidemment, nous ne parlerons que d'une partie infime du phénomène de l'acte créateur, nous nous contenterons d'aborder la création dans sa résonance avec la question du temps, du rythme et de la mort. Néanmoins, cette approche restera essentielle dans la mesure où elle ouvre la porte à une autre réflexion qui concerne les possibilités offertes par l'expression artistique pour un mieux vivre dans les limites de la loi temporelle. Nous devons donc établir le lien qui existe entre création et mort dans le cadre fondamental du rythme et du temps.

Pour ce faire nous disposerons de quatre oeuvres littéraires, trois autobiographies et une nouvelle, qui nous intéresserons en tant que créations de fin de vie, en état de condamnation et de grande souffrance, comme véritables expressions de dernières pensées sur la vie. Il s'agit du "Journal d'un homme de trop" d'Ivan Tourgueniev, des derniers ouvrages de Pascal de Duve et d'Hervé Guibert, et de "Mars" de Fritz Zorn. Ces quatre créations ont en commun qu'elles sont des journaux de fin de vie, où nous avons l'impression qu'à la fois la mort est omniprésente mais qu'en même temps elle n'est pas le plus grand objet de la plainte. Elle se trouve acceptée comme fatalité dans la mesure où il est possible par l'acte d'écriture de commettre ce solde de tout compte avec la vie et surtout avec l'autre. Mais ce règlement ne se fait pas au hasard. Curieusement dans ces quatre textes nous retrouvons le même sentiment d'avoir été un être marginal, solitaire, "de trop" ou "éduqué à mort". Aucune valeur de la société, du groupe ne permet plus d'affronter la condamnation par la maladie. Seule la maladie elle-même semble prendre une valeur de référence. Elle est la seule et unique loi qui existe, elle domine par les tortures qu'elle impose, mais en même temps elle devient pratiquement de l'ordre de la nécessité voire du désir. Comme si finalement, après que l'idée d'être condamné dans un terme plus court que la normale ait été acceptée, l'investissement des représentations de sa propre mort soit tel qu'il n'est plus remaniable, sans causer une nouvelle difficulté au psychisme. Le soi semble intégrer l'image d'un corps mourant, image qui ne semble pas pouvoir disparaître, au point que l'acte créateur qui suit la condamnation ne paraît plus avoir la même valeur qu'auparavant.

Nous aborderons cette question particulière au travers d'un cas clinique. Le contexte de mort annoncée semble accélérer un certain nombre de remaniements psychiques d'une part et impliquer la réinscription, quelquefois violente, d'une relation archaïque à la mère, voire d'un état autistique d'autre part. Le travail entrepris ici ne se délie pas de ce contexte particulier, il définit d'ailleurs la spécificité des maladies menaçant le pronostic vital, le cancer par exemple, en sachant que de nos jours la médecine permet de grands espoirs face à ce signifiant autrefois extrêmement mortifère et le sida, pour lequel il est actuellement impossible ou pratiquement impossible de jouer cette espérance, le deuil de l'immortalité étant toujours relancé par la réaction de l'autre social et médiatique, particulièrement friand de l'exhibition de la mortalité liée à cette maladie.

Il est cependant utile de préciser que cette recherche s'articule avec la tentative d'élaborer une réponse thérapeutique adaptée aux difficultés rencontrées dans le soutien des sujets atteints de maladies graves et condamnés à plus ou moins long terme. Quand j'évoque la condamnation, je n'évoque que celle qui concerne l'investissement psychique, en quelque sorte un deuil de l'immortalité. Je ne m'intéresserai jamais à la réalité d'une condamnation. Le destin de l'homme n'est connu que des Dieux… La condamnation, le sentiment que la mort est proche, la prégnance de la pensée de la mort ne sont pas des estimations précises du délai de vie restante. Mais, dès lors que la déclaration de certaines maladies a été prononcée par le corps, l'être humain anticipe la mort d'une façon plus évidente que dans son état de santé optimum. Nous n'étudierons pas les remaniements psychiques relatifs à une annonce de la mort dans un terme plus court que l'espérance commune, mais cette étude pourrait suivre le présent travail.

L'élaboration clinique. Les spécificités du sida.

Nous nous intéresserons plus particulièrement au sida parce qu'il s'agit d'une maladie regroupant plusieurs caractères lui conférant une spécificité que nous ne retrouvons que rarement dans d'autres maladies. Le cadre du présent travail doit aboutir à une réflexion plus générale autour des liens qui existent entre les activités créatrices et la menace du pronostic vital, soit au point de vue clinique, de l'intérêt de proposer des activités artistiques à des patients frappés par une mort annoncée, quelle que soit d'ailleurs, la réalité physiologique de cette condamnation. Il s'agit, en effet, de tenter d'appuyer théoriquement une élaboration clinique en cours auprès de plusieurs patients. Cette élaboration est orientée dans la perspective d'une réponse spécifique pour des patients ayant la sensation de se trouver en fin de vie et éprouvant des difficultés à mettre en place un projet du fait de cette menace. Cela s'applique actuellement aux personnes touchées par le V.I.H.. L'acte thérapique utilisant un média artistique présente un certain nombre de qualités essentielles dans un tel contexte. Le média représente à tout moment le cadre thérapeutique quel que soit le lieu de la séance, une telle pathologie menant à de nombreux changement de lieux entre l'institution, l'hôpital et le domicile du patient. L'activité créatrice porte en elle divers avantages : 1/ le "laisser trace", réponse au désir du patient de compenser le deuil de l'immortalité, 2/ la possibilité du travail sur le passé en tant qu'objet mis à distance ce qui représente un allégement par rapport à la thérapie verbale où le passé, l'historicité fait partie intégrante du présent de la cure, 3/ l'ouverture d'un espace transitionnel permettant la stabilisation des régressions et des remaniements psychiques à l'œuvre dans l'approche de la fin de vie.

La question de l'historicité est importante et mérite d'être développée. L'étude que nous allons en faire dans les chapitres suivant va nous permettre de nous rendre compte de l'importance de l'écriture de mémoires pour un patient en fin de vie. Dans cet acte créateur ultime, l'écrivain semble recourir à sa propre histoire, la ramasser, la poser sur la feuille blanche afin d'y retrouver une part perdue de son identité de vivant.

"Celui qui écrit devrait penser plus souvent à l'ultime page blanche qui clôt ses livres. Elle symbolise tout ce qui manque, tout ce qu'il y a en trop, tout ce qui est mal fait. Chaque livre se termine par une page blanche. Chaque œuvre se termine par une bibliothèque blanche."

L'ultime page blanche est fondamentalement cet ordre de l'inconnaissable, de l'imprévisible, ce qui concerne, en fait, le destin. Pascal de Duve nous parle là de ce qu'il ne faut en aucun cas envahir de la mesure du savoir. L'histoire, l'anecdote, la tranche de vie, la lettre, toute forme d'écriture qui parle du soi doit laisser place, dans l'ultime page blanche à ce qui ne saurait se mettre en mots. L'ultime page blanche correspond, comme la dernière image du T.A.T. (Thematic Apperception Test), à l'endroit même où l'autre va pouvoir projeter sa propre histoire, lieu de rencontre entre deux historicités différentes. En même temps, ce lecteur fait le deuil du livre, voire de l'écrivain. N'avons-nous jamais éprouvé cette peine, ce vide de la fin d'un livre, d'autant plus forte que nous savons que l'auteur n'est plus ? N'est-ce pas le moment où justement nous nous retrouvons seuls face à la mort ? C'est probablement cela que l'écriture tend à dire, d'autant plus quand celle-ci s'intéresse de mettre la mort en mots, de mettre la mère en maux. Cet ultime cri de douleur exprime le vide de sens de notre existence, en même temps qu'il est la tentative de créer ce sens, de le théoriser, de lui donner une histoire. Tout homme cherche ce sens sa vie durant sans pouvoir répondre à ces questions existentielles, si ce n'est par une auto-théorie qu'il ne partage finalement vraiment qu'avec lui-même.

Dans notre étude, il est question de l'écriture et du sida. Cette maladie, nous devons rapidement tenter d'en cerner les spécificités. Il est important d'observer que le sida possède un certain nombre de caractères qui en font une maladie unique pour autant que nous puissions retrouver ces caractères dans d'autres maladies, mais pour ainsi dire jamais en même temps.

Voici quelques réflexions concernant certains de ces caractères :

1/ La transmission :

Le V.I.H. est un virus transmissible. Cette transmission est entre autre sexuelle. Cela confère au sida un statut particulier. Le VIH est aussi transmissible par le sang, ce qui rejoint d'ailleurs le sexe dans son signifiant "élément de vie" si prégnant. Transmettre, "faire passer d'une personne à une autre", implique la présence de deux éléments, l'un donneur, l'autre receveur que l'on retrouve tels quels dans la transfusion sanguine. La transmissibilité du VIH inscrit la mort dans l'ordre de ce qui est donné. Mais c'est un don caché, rarement assumé, rarement connu au moment de la transmission. La mort donnée est différente de la mort héritée (maladie génétique), de la mort survenue (accident), de la mort prise (suicide), de la mort naturelle (vieillissement). La mort transmise rejoint l'empoison-nement, comme le montre cette polémique actuelle dans laquelle la législation tente de cerner le problème de la transmission volontaire. La transmission, même involontaire, reste dans ce même cadre en ce qui concerne la majorité des interprétations du social. Le sida se représente donc sous le premier aspect de la "mort donnée".

2/ La séropositivité :

Le temps de latence imposé par le fonctionnement de ce virus fait que le sida est une maladie qui advient un certain laps de temps après que le virus ait été découvert par l'intermédiaire des premières tentatives du corps de se défendre de l'agression. Ce temps ne trouve mesure que dans les moyennes statistiques que la recherche donne en pâture au quidam et dont ce dernier se nourrit, essentiellement parce qu'il tente systématiquement de reconstruire la vie, l'espoir, l'immortalité. Le fait que le virus signifie dans le discours du social aujourd'hui le laps de temps plus ou moins important qui sépare de la maladie et de la mort engendre l'aspect qui nous apparaît particulièrement digne d'intérêt dans notre étude, le phénomène de mort annoncée. La mort annoncée se pose lors de l'annonce de la séropositité, puis elle peut être plus ou moins bien gérée jusqu'à la survenue des premières chutes de l'immunité, et la déclaration des premières maladies opportunistes. Ce caractère particulier du sida se retrouve dans toutes les maladies menaçant le pronostic vital, mais précisons qu'il n'est généralement pas associé au premier caractère de mort transmise.

3/ L'âge :

Le sida touche des personnes en âge de sexualité, surtout entre 20 et 40 ans. Les malades sont donc jeunes. Le cancer, touchant en moyenne des gens ayant dépassé la quarantaine n'a pas suscité la crainte généralisée que nous connaissons pour le sida, d'autant qu'il n'existait pas ou peu de transmissibilité de la maladie. Le fait que le sida touche des gens jeunes implique une réaction bien connue aujourd'hui : "c'est trop tôt". Alors que l'individu sort de l'adolescence, qu'il commence à vivre, à construire sa vie d'adulte, avec toutes les difficultés que cela comporte aujourd'hui en particulier à une époque où cette construction est de plus en plus longue, il se trouve fauché dans son élan vital et doit tout à coup considérer que sa vie a été réduite et aucune référence n'existe à ce jour dans le social d'une vie écourtée qui ne perdrait pas sa valeur d'existence.

En effet, toute vie dite "bien remplie" doit être longue. Chaque période de cette vie correspond à un signifiant du social, un statut agréé par ce dernier. On ne meurt bien qu'après avoir accompli un certain nombre de travaux, dont l'un des principaux est la construction d'une famille, ce qui représente, nous le savons, un risque important pour les personnes touchées par le VIH. Il n'existe à ce jour aucune référence sociale pour une vie plus courte, mais tout de même bien remplie, si ce n'est quelques images issues du romantisme du XIXème siècle mais cependant toujours tournées vers la consumation de la vie et non un déroulement vrai, dans un terme plus bref. L'individu touché par une annonce précoce de la mort ne peut donc se référer à aucune image sociale existante. Il doit soit tout réinventer — certains en ont les moyens —, soit sombrer dans la tension d'une attente mal symbolisée.

La vie restreinte n'a pas de valeur dans le social. L'œuvre créatrice permet de retrouver une valeur de l'existence, en ce sens, certainement, qu'elle reste une tentative de prolongation de cette existence en même temps qu'elle lui confère une nouvelle reconnaissance, une nouvelle valeur agréée par le social. Pascal de Duve, Hervé Guibert et beaucoup d'autres trouvent dans leur création cette valeur perdue. La reconnaissance du social est une compensation à la limite donnée à leur existence.

4/ Le spectaculaire :

Depuis sa découverte, le sida a été une maladie spectaculaire, médiatique. Le sida stigmatise, dénonce, montre l'autre dans son étrangeté, sa différence, en un mot il fait peur. Il est donc un formidable outil de communication et d'écoulement des fantasmes mortifères du social. A une époque où la mort n'est plus symbolisée, il apparaît ce nouveau besoin de la mettre à distance en la regardant dans sa pure réalité mais toujours touchant l'étranger. La restriction de cette maladie à d'étranges personnages vivant de drôles de mœurs, accomplissant de drôles de pratiques, ayant une drôle de couleur de peau a dans un premier temps galvanisé les désirs de mort de bon nombre d'individus toujours en proie de leur jouissance primaire, l'autre ne dérangeant que l'autre et jamais soi. Le sida-punition est né de cette angoisse devant l'étrangeté, la délectation devant la souffrance de l'autre s'est nourri de cette stigmatisation.

Pourtant, aujourd'hui, la dissémination de la maladie prend une tournure qui provoque un tel déni qu'il serait important de se poser la question de ce qui s'y joue. La stigmatisation de certaines communautés à risque a engendré depuis plusieurs années une telle distance entre le sujet social et la maladie que nous pourrions aboutir non-seulement à une recrudescence de l'épidémie mais encore à une fétichisation des moyens de préventions.

En effet, nous ne pouvons qu'observer à quel point le préservatif est devenu aujourd'hui un objet magique, protégeant aussi bien l'individu de la maladie qu'une roue de voiture, au point que nous pourrions craindre qu'un jour l'on ne le porte qu'en pendentif avec l'idée que cela protège contre le VIH. Cette fétichisation du préservatif était cependant facilement prévisible dans la mesure où il n'existe pas d'autres moyens actuellement d'en parler sans faire référence au symbole, la représentation de la réalité tombant sous le coup de la loi contre la pornographie. Tous participent de cette fétichisation, même l'association qui habille un monument phallique d'un préservatif géant, lui conférant un véritable statut de totem, protection fétichisée contre les agissements défaillants d'un état désigné.

Ainsi, le spectaculaire intervient forcément dans la question : "suis-je vu ?".Nous reviendrons sur le fondement et l'importance de cette question. Evidemment, le sida est médiatique. Un des avantages qu'il présente aujourd'hui, pas seulement pour les individus touchés mais aussi pour tous ceux qui luttent à leurs côtés, c'est de mettre en vue. Le milieu de la lutte contre le sida jouit donc de ces avantages. Si d'une manière générale il s'agit d'une compensation somme toute normale, il n'en reste pas moins qu'elle engendre tous les abus possibles, mais ceux-ci sont inscrits dans l'essence même de l'être humain. D'aucun n'est exempt de ce désir d'être vu, le tout est de pouvoir en gérer la jouissance.

*

Nous avons survolé la question de l'approche de la mort, pourquoi l'art est-il en question dans cette approche, en quoi le temps ne saurait être négligé dans cette réflexion. Nous avons évoqué l'historicité de l'être. Nous avons parcouru les spécificités du sida. Enfin, nous avons abouti à une question : "Suis-je vu ?". Cette ultime question résonne avec le disparaître, évidemment. Nous pourrions dire qu'elle est, en ce qui concerne le cadre de notre étude, l'outil fondamental de l'"existencialité" sur laquelle nous nous appuyons pour dérouler le fil de la question de l'historicité.

Nous allons maintenant inviter le lecteur à quatre lectures de textes, comme nous l'avons déjà annoncé. A la fin de ces lectures, nous ferons le point sur le matériel recueilli selon une perspective théorique impliquant les notions de temps, de rythme, d'historicité. Mais l'ensemble de cette réflexion tourne tout de même autour de la relation à la mère archaïque, cette mère en maux que nous mettons à l'honneur dans le titre. Comme une figure de proue, nous l'utilisons peut-être plus dans le sens d'une métaphore de la mort qu'en tant que ce qu'elle est réellement. Que toutes les mères nous excusent de cette mise à mal de l'image délicieuse dans laquelle elles se sont toujours reconnues…

Dans le chapitre suivant, Tchoulkatourine, héros de Tourgueniev, va nous éclairer dans un premier temps sur les rapports intimes entre l'écrit du journal de fin de vie et ce qui, au terme, doit rester présent dans le regard de l'autre. Ce que nous raconte l'écrivain, nous devons le recevoir comme le témoignage d'une vie. Le fait même qu'il s'agisse finalement plus d'une anecdote, d'un morceau de vie plutôt que de mémoires est intéressant dans le sens où il nous montre que dans l'urgence de sa condamnation, le tri de ce qui doit être raconté, la difficulté de tout dire, mène à un choix. Ce choix, c'est réellement le choix créateur. L'acte créateur de Tchoulkatourine, c'est fondamentalement d'avoir voulu nous offrir un tableau, une histoire, vue de ses yeux de mourant, avec toute la spécificité que cela comporte.

 

 

Conclusion.

Concourir à la réconciliation corps/pensée par la mise en oeuvre d'une expression artistique ouvre donc les portes à différentes possibilités d'intervention : 1/ la restructuration du sujet autour d'une discipline qui s'adresse indirectement à sa pensée intime sans en violer le secret. ; 2/ la mise en place d'un espace temporel et la réalisation de celui-ci en fonction des nouvelles données que sont pour le patient l'annonce de la maladie ; 3/ la possibilité offerte par l'expression artistique de laisser une trace, témoignage que nous savons extrêmement important pour tout un chacun ; 4/ le patient qui a souvent perdu son travail se retrouve de plus seul et inoccupé : la pratique d'un art est la possibilité pour lui de pouvoir passer dans l'agir, se retrouver dans cet acte, voire s'identifier à lui, s'y projeter et crier sa douleur ; la création accompagne la solitude, structure le temps qui passe, et plus simplement occupe, détend, détourne du stress quotidien et restaure la valeur de soi.

La création est un moyen reconnu culturellement de se sentir dans un sentiment restructurant de pérennité, de continuation et ceci est apte à favoriser les retrouvailles avec un sens de la vie. Nous savons depuis Freud que le deuil ne peut se réaliser qu'à partir du moment où la libido est à même de se réinvestir sur un nouvel objet. S'il s'agit ici essentiellement des difficultés de l'amour de soi, du narcissisme mis à mal par l'intromission du virus, il n'en reste pas moins que l'annonce de la séropositivité rime encore trop aujourd'hui avec abandon et rejet familial ou social. Les pertes sont lourdes à gérer et surtout pratiquement impossibles à combler à un niveau relationnel. La création peut faciliter une reprise des intérêts libidinaux au travers d'une sublimation des sentiments mélancoliques et d'une mise en trace de la souffrance et de la solitude. Il s'agit bien quelque part d'une tentative de combattre ce qui est de l'ordre de la déréalisation dans la lutte contre la contraignante pensée du temps compté.

Nous avons tenté de montrer combien l'approche psychanalytique de l'expression littéraire et artistique permet d'aborder une foule de questions autour de l'angoisse de mort. Par ailleurs, par l'abord d'un cas clinique, nous avons voulu explorer l'intérêt d'une technique nouvelle, sa véritable efficacité restant encore à démontrer. En nous référant à la fois aux spécificités du sida et de la séropositivité et à l'évolution des techniques de psychothérapies par l'art, nous cherchons à évaluer l'opportunité d'éventuelles investigations du côté d'une proposition d'accompagnement thérapeutique médiatisé comme véritable technique de soutien des patients menacés dans leur pronostic vital. Cette technique psychothérapeutique reste donc à élaborer en tenant compte à la fois des données essentielles de la technique psychanalytique, cadre inévitable pour une telle démarche, de l'évolution des techniques en art-thérapie ces dernières années, de l'ensemble des réflexions récentes autour de la mort et du sida, enfin de la demande de soutien formulée par les patients, élément somme toute le plus important dans ce contexte.

BIBLIOGRAPHIE

 

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Dossier "Face à la mort" in Le journal du sida, Arcat-Sida, Mai 1994

 

Table des matières :

1. L'art et la mort 2

De la peur de la mort à la naissance de l'art, 3. L'homme aux prises avec ses limites : mort ou castration ?, 6. Mort de soi, mort de l'autre : disparaître, 8. La mort, question de l'homme, 9. "Si vis vitam, para mortem.", 10. La conscience du temps. Temps, loi et loi du temps, 11. La question d'une recherche, 13. L'élaboration clinique. Les spécificités du sida, 15.

2. Tchoulkatourine ou l'oiseau de trop 25

De l'histoire d'une vie au récit d'un amour. L'art comme stylisation de la réalité. L'écriture, outil du mourant, 25. L'homme de trop ou la mort en trop ?, 27. Elisabeth : histoire d'amour ou scène primitive ?, 29. A la recherche des parents perdus. Première approche de la mère. La mort du père, 31. Les derniers mots, 34.

3. Mars 37

La question du journal de fin de vie. Le masochisme comme source énergétique de l'écriture sur soi, 37. Zorn, l'éduqué à mort. Le bain chaud du réquisitoire, 39. Le cancer qui sauve, la mort qui donne vie. L'individuation, 41. La quête du Graal, paradigme d'un face à face avec la mort. L'initiation et la recherche de la lucidité, 42. La découverte du sens. Les valeurs absolues de la vie. La mort comme nouvelle naissance, 44. Tuer Dieu. Tuer sa mère. Tuer la mort, 46. La mère pieuvre, imago surmoïque mortifère, 47.

4. L'ultime acte héroïque du fils mourant

Pascal de Duve et Hervé Guibert 50

La question du sida. La réalité à la poursuite du fantasme, 50. Le voyage, outil original de la poétique. La pulsion de mort, outil de la défusion, 52. Intrication, désintrication des pulsions. Ambivalence. Amour et rupture, une seul objet : le sida, 53. Duplicité de l'imago maternelle. Ejaculation de l'écriture. Les enjeux du héros,56. Guibert : de la naissance à l'écriture, de l'écriture à la mort. L'histoire d'une mort annoncée, 58. Si-da : si oui, je meurs. L'accolement de la réalité. L'écriture, témoignage d'amour, témoignage d'identité, 61. La métaphore de l'enfant merveilleux. L'anesthésie du sujet, 64. Le corps : l'enjeu d'une possession. Le vrai ou le faux, l'image spéculaire et le double. La représentation du corps malade. Le regard de l'autre, 65. Le mariage de l'art et de la mort. Le don de soi. Etre dévoré des yeux. L'amour du père, l'abandon au père, 68.

5. François 73

Etat des lieux de la situation clinique. François et ses anecdotes. L'hospitalisation et le maitien du cadre thérapeutique, 73. Du double au je. Le travail de l'écriture par thérapie im(tiers)posée. L'identification à Sancho Pancha : le contre-transfert, 76. Fonction du double dans l'approche de la mort. L'analyste me regarde-t-il ? Gloire de la mère ou sujet. De la mater dolorosa aux déesses-mères, 79. Les pulsions mortifères de la mère au service de la vie de l'enfant. Rupture a jamais incomplète du lien archaïque, 84.

 

6. Vivre 87

Les débuts de l'existence : comprendre la fin. Agglomérats primitifs et tolérance à la frustration. La rythmicité, fondation de la pensée, prémices de la subjectivation, 87. De l'amour maternel. La mère destructrice dans l'écriture. Le radeau de François, 90.

7. Rythme, temporalité et angoisse de mort 95

Temporalité et frustration. De l'activité hallucinatoire à la fonction imaginaire, 95. L'imaginaire comme contrepoint entre réalité psychique et réalité extérieure. La binarité, 97. Le banal et l'unaire. Vie et mort : binarité de l'œuvre artistique. Répétition du même et nouvelle émergence, 100. La double inconstance de la répétition. Anticipation, 104. S'écrire, 108. L'écriture et le sida. Acte créateur ou acte créatif ?, 109. La douleur, l'indicible et les "terreurs sans nom". L'accompagnement thérapeutique médiatisé. L'art thérapie, 111. Conclusion, 119.

Bibliographie 122

Table des matières 127

 

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