UFR V -Science du Sujet et de la Société
Département de Psychologie
Mémoire
de Maîtrise de
Psychologie
Clinique
La perplexité au fondement de
l’expérience schizophrénique:
Une approche psycho-phénoménologique
de la Psychose
Présenté
par : M. Stéphane RAFFARD
Sous
la direction de : M. G. BRUERE-DAUWSON
Référent :
M. J.-L. MORAGUES
Session
juin 2001-2002
La commission pédagogique de la section
de Psychologie Clinique de l’Université Paul
Valéry, en limitant le volume du mémoire de maîtrise à 30 pages * (hors
annexes, page de garde, sommaire et bibliographie) impose à chaque étudiant une
exigence de rigueur et de concision.
Dans l’esprit d’une publication
scientifique (article d’une revue spécialisée ou chapitre d’ouvrage) il est
demandé aux auteurs de spécifier leur rationnel théorique, de présenter le
corpus des données de manière synthétique et / ou en sélectionnant les
éléments les plus significatifs, en référence à la problématique ainsi qu’à la
méthodologie clairement identifiées.
Interligne : 1,5 ; caractère de
corps de 12 ; marges (4 cm à gauche et 2 cm à droite)
« Cette fois il n’y avait pas d’espoir pour
lui : c’était la troisième attaque. »
JOYCE
J., 1907, Gens de Dublin, Paris, Flammarion, 1994, p.39.
« Héraclès
Qui as
tu jamais vu dans un plus grand malheur ?
Thésée
Nul
homme. Tu as atteint la cime.
[…]
Héraclès
J’en
suis comblé. On n’y saurait rien rajouter.
[…]
Thésée
Nul
autre dieu ne t’a envoyé cette épreuve,
C’est
bien l’épouse de Zeus, tu as raison de le penser…
[Plutôt
cependant que de t’abandonner au désespoir] »
EURIPIDE,
La folie d’Héraclès, Paris, Gallimard, 1962, pp.466-534.
INTRODUCTION
La clinique Mairet
dans laquelle j’ai effectué mon stage durant l’année, est un pavillon de
L’hôpital La Colombière[1] dont
la population est en grande partie composée de patients psychotiques.
C’est un pavillon
ouvert, centré sur la prise en charge,
dans un contexte le plus souvent d’urgence et dont le principal but est une
« gestion » de la crise qui a conduit une personne à un placement
d’office, à la demande d’un tiers ou plus rarement à sa propre demande.
« Je voulais avant tout exprimer
l’idée simple que ce n’est pas seulement l’identité du schizophrène qui est
ainsi posée, c’est aussi le problème de l’identité de celui qui le
rencontre. »[2]
Lors des entretiens que j’ai pu avoir
avec certains patients ou dans le cadre des consultations du psychiatre
auxquelles j’ai assisté, certains propos, certains comportements ont attiré mon
attention.
Plusieurs fois, j’ai pu entendre la plainte de certains malades. L’un se
trouvait « bizarre », « absentaliste »,
se plaignant de « ne plus être présent à lui-même », ne sachant pas
vraiment expliquer ce qui lui arrivait.
Une autre ne
« se sentait pas elle-même, se sentait étrangère à elle. »
« A chaque
fois que je parle à quelqu’un de différent j’ai l’impression d’être autre, j’ai
peur de disparaître, de ne plus pouvoir revenir. »
Ces propos venaient
mettre en exergue l’interrogation constante que ces personnes
éprouvaient quant à leur propre mêmeté d’être qu’ils
ressentaient vacillante et incertaine.
Il faut souvent, après
leur entrée, laisser un certain temps aux patients afin qu’ils puissent établir
un contact avec le personnel soignant ou avec les autres malades de l’unité. Si
beaucoup étaient dans la demande, participant avec enthousiasme aux différents
ateliers, d’autres se tenaient à l’écart ou
participaient sans sembler pouvoir s’impliquer. Ceux-ci exprimaient un
refus à toute proposition d’activité, adoptant des comportements de repli, vivant
en reclus et absents de presque tout contact avec quiconque dans l’unité.
Le personnel infirmier
du service décrivait ces malades comme
« à coté de leurs pompes, égarés,
patauds », devant faire face à de grandes difficultés pour pouvoir
entrer en contact avec eux car souvent décalés dans la rencontre.
Un vécu d’égarement à
s’orienter dans le monde, à pouvoir être présent à lui-même et à l’autre se
révélait être au premier plan de la présence au monde de ces patients.
« Ils n’y étaient pas », comme
s’ils n’étaient pas dans le monde mais « sur le bord de la route. »
Nous aurions pu penser
par ces comportements à un repli autistique du à la perception d’un monde
délirant et persécuteur.
Mais les entretiens
que j’ai eus avec certains patients ont contredit cette hypothèse.
Avant sa première bouffée
délirante, M. L. était musicien et pratiquait la guitare. Lorsqu’il lui a été
proposé d’en jouer dans le cadre de l’atelier de pratique musicale, il semblait avoir perdu l’usage pragmatique de
cet instrument.
A première vue, son
comportement maladroit et ses propos pouvaient faire penser à un niveau
intellectuel faible confirmant le diagnostic de schizophrénie déficitaire.
Après avoir incité le patient à jouer, le thérapeute s’aperçut pourtant qu’il
savait toujours décrypter une partition et jouer, bien qu’avec une certaine
maladresse, comme si en jouer n’allait plus de soi, n’était plus évident.[3]
Mme M est entrée en
urgence dans la clinique pour une forte angoisse proche d’un état de panique.
Après que l’angoisse se soit atténuée j’ai
eu avec elle une série d’entretiens[4] dans
lesquels elle a pu me parler des raisons de son hospitalisation. « Je ne
pouvais même plus prendre le bus, je n’y arrive pas », et de
préciser que tout lui posait problème, qu’elle n’arrivait plus rien à faire
chez elle. ²
Il nous faut mettre en avant que les patients sus-cités
ne souffrent d’aucune lésion organique : les examens neurologiques n’ont montré aucune
atteinte pouvant expliquer ces « absences » ou ce qui aurait pu
sembler être des apraxies relatifs aux problèmes rencontrés dans l’utilisation
d’objets de la vie courante.
De même les tests
psychologiques ayant écarté l’hypothèse de détériorations ou retards mentaux,
l’éclairage clinique de ces différentes observations ou propos a semblé pouvoir
mettre en avant un trouble spécifique de la psychose que ce mémoire va tâcher
d’éclairer.
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[1] Service
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service : Professeur J.-P. Boulenger.
[2] NAUDIN J. & AZORIN J.-M, 2001. “Psychothérapie
des schizophrènes », in Phénoménologie
de l’Identité Humaine et Schizophrénie, Paris,
S.A.P.H.G, p.173.
[3] M. L est un autre patient qu’il m’a était donné de suivre
sur une dizaine de séances. A la suite de la passation du T.A.T il me fit ces
commentaires sur la planche 16 (planche blanche sans matériel graphique) où il
est demandé au sujet d’imaginer une histoire : « La feuille blanche,
c’est la pureté, la virginité. C’est le néant aussi, c’est les sept couleurs de
l’arc-en ciel aussi. Voilà c’est tout. » Malgré un protocole très inhibé,
peut-on vraiment considérer ce patient comme relevant d’une orientation en
institution pour sujets débiles ou arriérés mentaux, ainsi proposée par le
service social de l’hôpital ?
[4] Le cas de Mme M est explicité dans la partie
clinique de mon mémoire. Nous nous sommes rencontré
sept fois durant mon stage, trois fois en présence de la psychiatre et quatre
fois en entretien individuel. A cela il me faut rajouter les rencontres
informelles au sein du pavillon dans des circonstances de la vie quotidienne
(heures de repas, promenades…) qui sont particulièrement intéressantes dans le
cadre de ces pathologies. –Infra la notion de Lebenswelt
dans la partie clinique.
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