DEPARTEMENT DE PSYCHOLOGIE

Rue LAVOISIER

76821 MONT SAINT AIGNAN







MEMOIRE DE MAITRISE






L’EXIL DE L’AINE TURC ET SES RESONNANCES IDENTITAIRES






Emilie PAQUIN N° 201212





Sous la direction de

Madame BENOUNICHE





SEPTEMBRE 2004

Emilie PAQUIN – Mémoire de Maîtrise Psychologie 2004



TABLE DES MATIERES




RESUME ............................................................................................................................................................... 3


REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ 5


INTRODUCTION................................................................................................................................................. 6


PARTIE THEORIQUE.......................................................................................................................................11


1. LA FAMILLE TURQUE ......................................................................................................................................12


1.1. L’islam et la turcité................................................................................................................................13


1.2. Une structure patrilinéaire .....................................................................................................................15


1.3. Les sites du feminin et du masculin.......................................................................................................19


2. LAINE ET LEXIL ............................................................................................................................................21


2.1. Bref historique et état des lieux .............................................................................................................22


2.2. Des primogénitures primo arrivantes.....................................................................................................23


2.3. L’hégémonie phallique ..........................................................................................................................28


2.4. Mères contre filles .................................................................................................................................32


2.5. Le mariage .............................................................................................................................................33


PARTIE METHODOLOGIQUE .......................................................................................................................35


3. LES SUJETS .....................................................................................................................................................36


4. L’ENTRETIEN CLINIQUE..................................................................................................................................49


5. LES TECHNIQUES PROJECTIVES.......................................................................................................................52


ANALYSES CLINIQUES ...................................................................................................................................55


6. ANALYSE DES ENTRETIENS.............................................................................................................................56


6.1. Analyse des entretiens des sujets masculins ..........................................................................................58


6.2. Analyse des entretiens des sujets feminins ............................................................................................67


6.3. Tableau recapitulatif ..............................................................................................................................74


7. ANALYSE DU TEST DES TROIS PERSONNAGES DE M. BACKES-THOMAS............................................................75


7.1. Analyse du test des trois personnages des sujets masculins ..................................................................78


7.2. Analyse du test des trois personnages des sujets féminins ....................................................................81


7.3. Tableau récapitulatif ..............................................................................................................................85


DISCUSSION .......................................................................................................................................................86


CONCLUSION.....................................................................................................................................................89


BIBLIOGRAPHIE...............................................................................................................................................91



- 2 -

Emilie PAQUIN – Mémoire de Maîtrise Psychologie 2004




RESUME




Notre problématique se situe au niveau de la « parentification » de sujets qui ont dû rapidement assumer des tâches administratives et sociales, prenant une autorité sur les parents, ils ont alors pu difficilement élaborer des images parentales rassurantes, capables d’être structurantes.



En effet, en situation de migration, ce ne sont pas les parents qui vont interpréter le monde mais les enfants. On assiste à des délégations de responsabilités éducatives, celles-ci pouvant passer du père (absent ou défaillant) à la mère, de la mère au fils aîné.



Etant donné la place des parents dans la société d’accueil et la configuration familiale que la migration induit nous proposons les hypothèses suivantes :



Notre première hypothèse est que les sujets auront des carences au niveau des processus d’identification et qu’en lieu et place de ceux-ci, ils auront incorporé leurs parents, ce qui induit un déni de leurs propres besoins et la nécessité d’apports extérieurs constants pour nourrir un narcissisme défaillant.


Notre seconde hypothèse est que les sujets auront affaire à un surmoi externe tyrannique.

Et notre dernière hypothèse renvoie aux places différentes qu’occupent les garçons et les filles au sein de leurs familles et de la communauté turque, nous nous attendions donc à trouver des différences dans l’expression de la souffrance de l’un et de l’autre.



Notre groupe d’étude est composé d’aînés masculins et féminins de religion musulmane sunnite, ils ont quitté leur pays, la Turquie en même temps que leurs parents dans les années


1970, ils avaient alors entre 2 et 8 ans.



Ils ont ainsi connu des images parentales stables et rassurantes et ont entamé un processus d’identification qui a été perturbé par la migration à l’issue de laquelle ils découvrent des parents différents qui vont s’appuyer sur eux.





Nous avons pris garde de ne choisir que des sujets qui sont les seuls de leur fratrie à être nés en Turquie, ils sont ainsi fortement investis par leurs parents, d’une manière supérieure à leurs frères et soeurs qui sont nés loin du pays idéalisé de leurs parents.



Ce que nous avons dégagé de l’entretien clinique et du test des trois personnages de M. Backes-Thomas, dans une logique de psychologie interculturelle respectueuse de l’héritage de Devereux, ce sont les éléments suivants :



Nos sujets masculins ont incorporé oralement leur mère, leur surmoi est externe et tyrannique et leurs mécanismes de défense privilégiés sont le faux self, le clivage, le déni, l’omnipotence, la projection et l’introjection. Leurs modes de relations d’objet sont de types anal et oral et leurs frontières sont poreuses.



Nos sujets féminins ont quant à elles pu parvenir à une identification au père, ce qui pose des problèmes quant à leur féminité. Il existe chez elles une confusion entre le devoir et le désir, leur surmoi, bien qu’intégré, étouffe le ça. Leurs mécanismes de défense privilégiés sont le refoulement et la sublimation.



Tous nos sujets ont montré l’importance de la culture turque dans leurs actes quotidiens, particulièrement par l’intermédiaire des dedi kodu (les quand dira t-on) qui font qu’ils ne sont pas libres de leurs actes mais se préoccupent en permanence du jugement des membres de la communauté turque.








REMERCIEMENTS




Je tiens à remercier Madame Benouniche, mon maître de mémoire pour ses encouragements et l’intérêt qu’elle porte à ce travail.



Un grand merci à mes parents pour la confiance qu’ils m’accordent toujours et à mon petit frère pour m’avoir fait éprouver les liens incomparables qui existent entre un frère et une sœur.



Merci aussi à Gençer de supporter mes remises en question, mes doutes, merci de toujours être là et de m’encourager.



Enfin merci à ses hommes et ses femmes qui m’ont accueillie dans leur univers et m’ont permis de les comprendre un peu mieux.





INTRODUCTION




Lors de nos prospections, nous avons été surprises du peu de recherches concernant la population originaire de Turquie, particulièrement en psychologie. Ce phénomène trouve sa source dans plusieurs explications, d’abord son arrivée en France est relativement récente

(dans les années 1970), ensuite son histoire ne rejoint pas celle de la France dans un contexte colonisé-colonisateur ; les turcs font d’ailleurs souvent référence à un passé glorieux pour marquer la différence avec les relations coloniales entre les maghrébins et la France.



Enfin notre lacune dans la connaissance des turcs en France trouve sa principale explication dans la discrétion incontestable de cette communauté. Il existe en effet peu de liens entre celle-ci et les autres groupes et individus qui vivent à ses cotés. Ces derniers ne pénètrent quasiment jamais le cercle fermé des turcs.



On a ainsi parlé de « l’exception turque » et du « repli communautaire des turcs », expressions respectives de Michèle Tribalat1 et Riva Kastoryano2.



Est-ce parce qu’il s’agit d’individus qu’on ne remarque pas, qui ne perturbe pas l’ordre social, que l’on ne voit pas qu’il faut les laisser de coté ?

En psychologie plus que dans n’importe quelle autre discipline, on sait que la souffrance est souvent silencieuse et peut facilement passer inaperçue à qui ne sait pas ou ne veut pas l’entendre.

Un fait que l’on nomme « divers » a attiré notre attention et nous a laissé entendre que la migration peut particulièrement affecter les enfants aînés des familles turques.

Il s’agit de la triste histoire de Nazmiye, une jeune fille turque de 15 ans étouffée à Colmar en août 1993 par son frère aîné devant ses parents. Elle avait commis la grave erreur de mettre en péril l’honneur de sa famille en flirtant en public. Et ce, au regard du groupe, de cet ensemble de personnes qui définissent les normes du contrôle social et sont garantes de la morale communautaire.




1 Faire France, La Découverte, 1995, Paris.


2 Etre Turc en France. Réflexions sur familles et communauté, Paris, L'Harmattan, 1997.




Elle « devait » à sa famille d’avoir une attitude sociale. Son attitude a porté préjudice à la capacité de son frère d’être un chef de famille respecté et écouté.



La mise en exergue de la violence démontre ici l’échec de l’autorité du frère puisque le propre de celle-ci réside dans le pouvoir de se faire obéir sans contrainte physique. L’échec de la fonction symbolique voit ici son apogée.



On voit que les interdits pèsent sur les filles mais les garçons n’en sont pas moins surveillés, ils ne peuvent par exemple pas sortir sans autorisation le soir comme leurs amis français du même âge. Les codes de comportements et de respect, les obligations à remplir font de ses enfants des être très conscients de leurs responsabilités et de leurs devoirs. Dès leur plus jeune âge, les enfants turcs sont éduqués conformément à leur futur statut. Très tôt dans l’enfance, ils ont conscience de la séparation des statuts liés à l’âge et au sexe.



Notre problématique est donc que les enfants des deux sexes vont rapidement assumer des taches administratives, sociales, prenant une autorité sur les parents, ils pourront donc difficilement élaborer des images parentales rassurantes, capables d’être structurantes.

En effet, en situation de migration, ce ne sont pas les parents qui vont interpréter le monde mais les enfants. On assiste à des délégations de responsabilité éducatives, celles- ci pouvant passer du père (absent ou défaillant) à la mère, de la mère au fils aîné.



Etant donné la place des parents dans la société d’accueil et la configuration familiale que la migration induit nous proposons les hypothèses suivantes :



On s’attend à trouver chez nos sujets des carences au niveau des processus d’identification, en lieu et place de ceux-ci, le sujet aurait incorporer oralement ses parents c'est-à-dire que le sujet « s’identifie sur le mode oral à l’objet perdu »1 ce qui induit un déni de ses propres besoins et la nécessité d’apports extérieurs constants pour nourrir un narcissisme défaillant.




Nous pensons que ces sujets auront affaire avec un surmoi externe tyrannique.



1 Laplanche, J., Pontalis, J-B. Vocabulaire de la psychanalyse, 1998, PUF, Paris.




Selon Freud, le surmoi est l’héritier du complexe d’oedipe, il se constitue par intériorisation des exigences et des interdits parentaux. Or, nous pensons que nos sujets demeurent à un stade préœdipien et, en conséquence n’ont pas de surmoi intériorisé. D’après M. Klein, dès la phase orale, un surmoi se formerait par introjection des « bons » et « mauvais » objets que le sadisme infantile rendrait particulièrement cruel. A notre sens, il s’agit de ce type de surmoi chez nos sujets.



Les parents communiquent très peu avec leurs enfants, la mère entretient des liens avec sa fille pour lui transmettre les valeurs liées à son futur rôle d’épouse, la féminité et la maternité.



En revanche, la relation mère-fils représente le noyau dur de la famille. C’est elle qui le désigne au fils aîné son rôle de protecteur futur de l’honneur familial, tant et si bien que si le père manque à cette tache, comme c’est souvent le cas en exil, le fils s’approprie le rôle du père.



La mère ayant en charge l’éducation de ses enfants accordera plus d’importance à la réussite scolaire de ses garçons, en particulier de l’aîné. Comme dans toute société traditionnelle, il représente une garantie pour l’avenir de la mère, puisqu’il sera amené à la prendre en charge lorsqu’elle sera âgée.

C’est donc un lien très particulier qui s’instaure entre la mère et son fils aîné, de telle sorte que les autres membres de la famille ne sont que des satellites amenés à remplir des fonctions secondaires, notamment les filles, destinées à partir dans une autre famille.



Etant donné les places différentes qu’occupent les garçons et les filles au sein de la famille et de la communauté turque, il parait légitime de s’attendre à trouver des différences dans l’expression de la souffrance de l’un et de l’autre.



Les turcs ne constituent pas un groupe homogène, il est composé de Chaldéens, d’Alevis, de Kurdes et de musulmans chiites et sunnites. Ces derniers constituent la majorité et feront l’objet de notre attention dans cette étude.

Dans une première partie nous verrons le lien intime qui existe entre la religion et les sociétés méditerranéennes ainsi que son influence sur l’organisation familiale et la distribution des rôles selon les sexes.




Dans une seconde partie nous nous proposons d’étudier l’aîné turc issu de parents qui ont quittés leur pays, la Turquie dans les années 1970 pour venir s’installer en France. Les parents, privés de leur enveloppe culturelle ne tiendront pas les rôles habituels, particulièrement le père qui subira une remise en cause de son autorité de par sa fragilité. Dans ce contexte, l’aîné se verra imposer une place particulière au sein de cette famille.



Tous nos sujets sont adultes ce qui nous permettra d’étudier, grâce à un entretien clinique et au test des trois personnages leurs modes de vie et leurs difficultés à l’issue de la maturation identitaire, à cette période de la vie, ils sont en effet censés être passés par différentes étapes structurantes et par des conflits nécessaires, donnant naissance à un moi relativement stable et intégré.




La psychologie clinique interculturelle



Plusieurs approches1 permettent d’aborder la problématique de l’interculturel dont les approches phénoménologique, organiciste et culturaliste, la première consiste à dégager des phénomènes décrits, des vécus psychologiques tels qu’ils peuvent apparaître à la conscience de celui qui en fait l’expérience, elle est surtout utilisée pour déceler certains problèmes ponctuels. La seconde connue un grand succès en psychiatrie, dans cette conception, seul l’organique est responsable des perturbations psychiques et on soigne la psyché comme n’importe quelle autre partie du corps. Enfin les auteurs de la troisième font l’analogie entre culture et fonctionnement psychique. Aucune de ces approches ne nous convient, nous nous réfèrerons donc à une conception qui s’appuie sur la culture pour comprendre le sujet et s’en détache pour l’entendre dans sa singularité, respectant ainsi les objectifs de la psychologie clinique.



Son initiateur, Devereux part d’une méthode qu’il désigne complémentariste. Il dira « un phénomène humain qui n’est expliqué que d’une seule manière n’est, pour ainsi dire, pas expliqué du tout … ». Il s’appuie sur la compréhension ethnologique et la compréhension psychanalytique du comportement humain, il s’agit de deux sciences complémentaires mais pas additionnelles, c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’élaborer un discours cohérent avec les morceaux empruntés à des disciplines diverses.




1 Psychopathologie de l’enfant migrant, les cahiers de l’enfance et de l’adolescence, n°3, janvier 1999.




La méthode complémentariste présuppose, et exige même, la co-existence de plusieurs explications, dont chacune est presque exhaustive dans son propre cadre de référence, mais à peine partielle dans tout autre cadre de référence.

Seul un souci de commodité et d’économie déterminera donc à quel moment ou à quel point il devient préférable d’abandonner l’investigation psychanalytique pour l’enquête ethnologique et inversement.

Il part du postulat de Freud de l’universalité du fonctionnement psychique, l’inconscient d’un individu d’une culture différente ne diffère pas de celui d’autres êtres humains et les fantasmes n’ont rien d’uniques. L’utilisation de symboles et d’actes symboliques pour exprimer ses conflits et désirs sont de même type que ceux utilisés pour des motifs analogues par des sujets appartenant à notre culture.

L’esprit humain fonctionne de façon à peu près identique partout. D’ailleurs, l’unité psychique de l’humanité correspond à la pierre angulaire de la théorie psychanalytique.

Le sujet vit la culture comme quelque chose de profondément intériorisé, quelque chose qui fait partie intégrante de sa structure et de son économie psychique. La culture correspond à une manière structurée d’appréhender à la fois soi et le monde. Mais de quelle culture s’agit t- il dans le cas de nos sujets ? De la turque, de la française ou de bribes de l’une et de l’autre ? La même pulsion ou le même fantasme peut être stimulé par des influences culturelles très diverses et inversement, peut utiliser également une grande variété d’ « exutoires » et de champs d’action culturels.

Ainsi, les matériaux refoulés dans une société peuvent être et conscients et actualisés culturellement dans une autre.

Il est nécessaire d’accepter de sortir de ses propres références, de se mettre à la place de celui qui parle et de le comprendre à partir de ses propres logiques (culturelles et psychologiques).



En ce qui concerne les enfants de migrants turcs leur problématique ne présente pas de symptomatologies analogues à celles qui étaient en cours dans le pays de leurs parents. En effet parce qu’ils furent élevés ici, ces enfants sont dans des problématiques de métissage culturel et d’entre deux, ce ne sont plus des sujets de culture traditionnelle à part entière.

Pour avoir accès à l'intégralité de ce document, cliquez ici


Accès à d'autres documents en psychologie

Accès au site Psychologue.fr




Hébergement : Mon-Site-ici.com
Référencement : Mon-Site-ici.fr
Espace SSL sécurisé : Transaction-Securisee.fr

Réseaux-Sécurité-Informatique : NICOLAS Informatique